Les blasphèmes des pauvres et ceux des puissants par Aziz Benyahia

Redaction

Quand on apprend que deux jeunes Algériens ont eu maille à partir avec la Gendarmerie Nationale pour avoir diffusé sur la toile des propos blasphématoires en arabe dialectal, on reste circonspect. On réagit par réflexe et on choisit de chercher à en savoir un peu plus avant de se faire une opinion.

Non pas parce qu’on met en doute la qualité des investigations des  gendarmes mais uniquement pour ne pas céder à l’emballement et par souci d’objectivité et de respect  de l’éthique professionnelle. On sait par expérience que toute approche originale ou inhabituelle de la religion chez nous, devient suspecte dès lors qu’elle déroge au mode de pensée unique imposé par nos néo-chouyoukhs. Le mois de ramadhan n’autorisant pas toutes les irrévérences ; on se contenterait de qualifier ces penseurs officiels de conservateurs.

Mais dans l’intervalle, et en attendant des révélations plus précises, on peut déjà faire quelques mises au point.

La première : de jeunes algériens parlent de religion entre eux en arabe dialectal. A priori cela devrait nous réjouir. Ce serait la preuve que nos jeunes considèrent qu’il n’est pas nécessaire de faire des études supérieures pour croire en Dieu, que l’arabe dialectal n’est pas limité aux parties de domino ou à l’insulte et que la foi du charbonnier vaut au moins celle des clercs. Bien évidemment ce raisonnement s’effondrerait de lui-même s’il s’avère que les propos échangés entre eux tenaient plus du blasphème que de l’exégèse ou du vide métaphysique. Dans ce cas il faudrait nous entendre sur la notion de blasphème. La loi dit qu’il y a blasphème quand « on offense Le Prophète (Ass) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen ». Ce qui signifie qu’on peut le faire aussi par son comportement de tous les jours vis-à-vis d’autrui, surtout quand on instrumentalise la religion à des fins politiques ou qu’on déforme l’esprit et la lettre du dogme pour abrutir et dominer les autres. In fine, la loi dans son article 144 bis 2 doit être appliquée dans toute sa rigueur lorsque le blasphème est proféré en arabe académique ou dans n’importe quel dialecte. Elle devrait sévir aussi bien dans les quartiers populaires que sur les hauteurs parce qu’il n’y a aucune différence entre les blasphèmes des pauvres et ceux des puissants.

Deuxième mise au point.

Si de surcroît, il est établi que l’infraction va au-delà  du blasphème et qu’il s’agirait d’après les derniers communiqués,  d’une antenne locale agissant dans le cadre d’une vaste opération menée contre l’islam à des fins de déstabilisation, les jeunes aventuriers devraient répondre de chefs d’accusations d’une tout autre nature. Ils s’exposeraient alors au jugement des hommes et à celui de Dieu.

Reste qu’on peut craindre légitimement, qu’on ne saisisse le prétexte de cette grave infraction pour jeter l’anathème sur toute approche originale ou innovante de la question religieuse et que ne soit déclarée blasphématoire toute tentative qui n’aura pas reçu l’imprimatur de ceux qui veulent nous imposer un diktat qui rappellerait les méthodes de l’inquisition.

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