Les Algériens n’ont jamais eu réellement de vocation et n’ont jamais vraiment fait de choix d’orientation, si l’on retient que tout choix est un sacrifice pour une cause, une abnégation au service d’un idéal. Depuis longtemps, les Algériens ne croient pas à un idéal, une valeur existentielle qui les mobilise dans le cadre d’un projet national. Aujourd’hui, le 16 septembre, l’histoire apprendra à nos enfants qu’un seul désir : celui de posséder un logement !
Et tout le reste n’est que littérature. Oui, de la pure et simple littérature insignifiante. Le 16 septembre 2013, des millions d’Algériens se sont connectés en masse pour déposer une demande de logement. Des millions d’autres ont envahi les réseaux sociaux pour quémander la moindre information utile sur ce dossier. Des millions de nos compatriotes n’ont que ce mot sur la bouche : donnez-nous un logement ! Oui, un logement et c’est tout ! On ne veut rien d’autre. Ni démocratie, ni changement, ni amélioration du pouvoir d’achat, ni partage équitable des richesses nationales, ni Etat de droit ou une justice indépendante. Pour aucun de ces causes, nobles et vitales sous d’autres cieux, la mobilisation n’a été aussi massive. L’ADDL remplace dans le dictionnaire des Algériens les mots, et surtout notions, de liberté, égalité, justice, dignité ou équité. L’ADDL, ce sigle résume à lui seul le rêve algérien. Le rêve de posséder un toit. Tous pour un toit. Un toit même s’il est bâti par la corruption, la magouille ou la tricherie. Un toit même s’il est l’oeuvre d’un architecte véreux dont le seul objectif est d’asseoir son pouvoir sur une société obnubilée uniquement par ses besoins matériels.
Pas de place pour le spirituel, l’idéal ou les choses de l’âme et de l’esprit. C’est le pragmatisme de bas instinct qui régit les rapports sociaux. Cette religion nationale fédère les citoyens et donne sens à leur vie. Du coup, même le remaniement ministériel n’a pas préoccupé aussi dramatiquement les Algériens. Que des ministres soient virés sans qu’on les sanctionne ou on les juge pour leur bilan catastrophique, cela ne choque plus grand monde en Algérie. Que le Président de la République diminue les prérogatives des services de renseignements, cela n’a aussi guère défrayé la chronique. 4e mandat ou pas, présidentielle ou pas en 2014, ces sujets, pourtant décisifs pour l’avenir du pays, n’ont suscité aucun débat national ou une quelconque mouvement de mobilisation. En revanche, l’ADDL, ça fait exploser les compteurs. L’ADDL, ça fait le buzz. Le méga-buzz qui fait oublier tout le reste. On l’aura donc compris, les Algériens n’aiment pas et ne cherchent pas le changement. Ils veulent uniquement un logement. Le reste, encore une fois, c’est de la littérature. « Plus absurde est la vie, moins supportable est la mort », disait Jean-Paul Sartre. Nul n’aurait su mieux dire pour illustrer les réalités complexes de la société algérienne.