Lettre d’un martyr aux nouveaux maîtres de l’Algérie

Redaction

Des hauts cieux de notre univers, je m’adresse à vous pour vous faire part de mon immense douleur.  La grandeur de la persécution qui s’est produite à l’encontre des mes compagnons d’armes, la violente répression des colonisateurs contre les combattants de la Révolution, tout ce qu’ont supporté les bienheureux martyrs, nous ne sommes pas capables de le dire et il n’est pas possible non plus de le décrire en détail.

Car c’est avec toutes ses forces que le colonialisme s’est jeté sur nous, préludant déjà au déchaînement qui marquera son avènement. Il est passé partout, en préparant les siens, en les exerçant d’avance, de sorte que non seulement nous étions écartés des maisons, de nos familles et proches, mais encore on défendait absolument à n’importe lequel d’entre nous de paraître en quelque lieu que ce fût. Nous étions contraints de se réfugier dans les maquis pour se battre avec des vieux fusils contre des avions sophistiqués, de se terrer dans le silence lorsque nous étions torturés nuits et jours à la « gégène ». Nous fermions les yeux et nous rêvions d’un pays libre où les enfants jouent sans qu’ils soient menacés par un soldat étranger. Nous rêvions d’un pays où tous les Algériens deviendraient égaux. Nous rêvions d’un pays où personne n’est à l’abri de la justice lorsqu’il vole, il tue ou commet un quelconque tort. C’était ce rêve qui nous permettait de résister jusqu’à notre dernière goutte de sang. C’était ce rêve qui nous avait permis de ne jamais révéler la moindre information précieuse à l’ennemi dont la sauvagerie redoublait à chaque séance de torture. Aujourd’hui, les uns ont perdu leur mémoire et d’autres l’ont trouvée. Mais Allah le miséricordieux n’a jamais abandonné les combattants de la liberté et de la justice. Il a mis à l’abri les faibles et a rangé face à l’ennemi des piliers solides capables d’attirer sur eux par leur endurance tous les assauts des forces du mal. Grâce à la bénédiction d’Allah, nous avions réussi à supporter  toutes sortes d’outrages et de mauvais traitements.

Aujourd’hui, 51 ans après notre mort, dans nos tombes où nos corps dévorés par les insectes, nos âmes se révulsent. En me sacrifiant pour une noble cause, celle de l’Indépendance de notre pays, et en me jetant sur les balles de l’ennemi, avec aucune peur, j’ai tant espéré que vous seriez fidèles aux principes de la Révolution tout en favorisant un climat serein et pacifique  pour le développement de l’Algérie et l’épanouissement des Algériens. Malheureusement, ce vœu n’a guère été exaucé et je ne reconnais plus mon Algérie pour laquelle je me suis sacrifié. Ni moi ni mes frères martyrs n’ont donné leur vie pour un pays qui protège les corrompus et écrase leurs victimes. Aucun de mes compagnons d’armes n’a donné sa vie pour que l’Algérie devienne plus tard un repaire de voleurs. Les richesses du pays sont détournées et la justice reste les bras croisés. L’Etat ne peut même pas soulager les souffrances de ses citoyens malades et atteints de cancers. Ils meurent sous ses yeux parce que dans les hôpitaux de leur pays, ils ne peuvent pas se soigner dignement. Non, messieurs les nouveaux maîtres de l’Algérie, nous n’avons pas sacrifié nos vies pour un tel pays ! Un Président qui se soigne chez les colonisateurs d’hier, une économie cadenassée par les importateurs et la mafia de l’informel, un Sud et des régions entières encore privés des bienfaits de la civilisation, non messieurs les nouveaux maîtres de l’Algérie, nous n’avons pas sacrifié nos vies pour un tel pays !

Quand nous avions répondu à l’appel du 1 Novembre, on nous avait promis un autre pays. Une autre Algérie où règne les idéaux de justice et d’égalité. L’Algérie des castes, des privilégiés d’un côté et des parias de l’autre, cette Algérie-là, c’est l’Algérie du colonialisme contre laquelle nous avons lutté. L’Algérie où les malades n’ont pas la chance de se soigner et décèdent dans l’indifférence, où les enfants des oasis et des dunes subissent la misère sociale, c’est une Algérie que nous avons combattu. Comment est-ce possible que cette Algérie là ait survécu à nos armes et nos sacrifices ?  Cette question me torture encore plus fort que cette « gégène » qui avait ruiné en moi le sentiment de dignité. Un sentiment que je vous demande de restituer à mes enfants et petits enfants qui viennent chaque jour pleurer sur ma tombe. Leurs larmes pleuvent sur moi parce qu’ils me parlent de hogra, de haggarines, de harga et de harragas. Jamais, au grand jamais, je n’avais pensé qu’un jour l’Algérie indépendante connaîtrait de tels maux.

Ne me laissez pas regretter mon sang qui a coulé sur cette noble terre algérienne et laissez moi profiter du paradis tout en ayant à l’esprit que si vous ne saisissez pas cette chance historique de liberté et d’Indépendance et de bonne étoile qui brille sur notre pays, je risque d’avoir ma part de votre monumental gâchis et ça je ne le vous pardonnerais jamais…