Akbou (Béjaïa). Bienvenue à l’école de la deuxième chance

Redaction

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L’Association Étoile Culturelle d’Akbou, fondée en 1976 par un groupe d’artistes, est aujourd’hui connue et reconnue en Algérie, mais également en Europe. En 2003, l’association culturelle a fait un incroyable pari, une première en Afrique. Ouvrir l’École du Jeune Citoyen, une école de la deuxième chance. Une école qui prend en charge des élèves exclus du circuit du système scolaire. Ces parias de l’école algérienne ont trouvé à Akbou une main tendue  par des hommes et des femmes courageux qui portent admirablement bien ce projet.


Akbou, petit village, grand modèle

Nous sommes arrivés un jour de grisaille et de froid dans le ville d’Akbou (Béjaïa). Akbou est une ville entourée de montagnes situé au cœur de la vallée de la Soummam à 50 km de Béjaïa. Nous avons vite oublié le froid et les nuages tristement gris en passant la porte de l’Association Étoile Culturelle d’Akbou (AECA). Des sourires, partout des sourires. Sur chaque visage, les mêmes sourires honnêtes. L’accueil chaleureux de nos interlocuteurs a vite comblé le manque de soleil. Le célèbre dicton « tu casa es mi casa » (Ta maison est ma maison) prend ton son sens ici. Les visages sont bienveillants, fraternels, attentifs.

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Ecole du Jeune Citoyen d’Akbou (Béjaïa)

La route qui mène à la ville d’Akbou est malheureusement célèbre pour ses embouteillages, comme de nombreuses autres villes algériennes. Le temps passé dans la voiture a permis de pouvoir nous attarder plus longuement sur le paysage. Partout, les nobles et presque intimidantes montagnes emblématiques de la Kabylie surplombent l’horizon. Malheureusement,  à l’entrée de la ville, les amas de poubelles constatés un peu partout donnent un désagréable sentiment de dégoût. Certaines « dunes » de poubelles atteignent parfois plus de deux mètres de haut !

Néanmoins, cette triste réalité n’a pas entamé le moral de nos hôtes qui soupirent en souriant « c’est comme ça depuis des mois… » S’ils n’ont pas encore trouvé de solutions au problème des ordures ménagères (ce qui devrait être une priorité pour les pouvoirs public), les membres de l’Association Étoile Culturelle d’Akbou s’investissent avec abnégation dans de nombreux autres sujets primordiaux concernant l’environnement, la santé, la culture et l’éducation de la jeunesse. Plus qu’une problématique, la jeunesse est un véritable enjeu dans cette Algérie ou 75% de la population à moins de 30 ans.

A Akbou, comme un peu partout en Algérie,  parmi ces jeunes, certains ont été écartés des bancs de l’école par nécessité, découragement ou par mauvaise orientation. Certains de ces exclus du système scolaire ont sombré dans la délinquance, la drogue, le vol, le crime. D’autres encore, issus de familles démunies, n’ont pas joui des mêmes avantages que leurs camarades pour continuer à étudier correctement.

Remettre les jeunes sur la bonne voie 

L’AECA s’est posée des questions simples : Que faire de ces jeunes livrés à eux-mêmes ? Les laisser de côté ? Faire semblant de ne pas les voir pour éviter de s’en occuper ? Qu’a-t-on à leur offrir ? Comment les aider ? Est-il possible de les réinsérer ?
Penser que ces jeunes ont décroché de l’école par choix, c’est déjà commettre une erreur terrible.
C’est en fait les juger et les condamner sans avoir pris la peine de chercher et de comprendre que la majorité d’entre eux ne sont que les victimes d’un système excluant qui les a marginalisé et catalogué.

Ce système, c’est d’abord l’Etat et c’est ensuite l’école publique dépendante de cet Etat. L’école publique semble complètement inadaptée et en manque de moyens pour s’occuper de jeunes en détresse. C’est aussi la société, accusatrice et trop occupée par ses propres problèmes. L’ex Président français François Mitterrand a dit un jour : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tord ».

Partant de ce thème de l’insertion et de la formation des jeunes, la ville d’Akbou s’est dotée grâce à l’AECA d’un véritable modèle. Pionnière en Afrique, l’Ecole du Jeune Citoyen créée en 2003 a réussi son pari puisque la majorité des jeunes qui sont passés par ces bancs ont obtenu leur baccalauréat et sont actifs professionnellement aujourd’hui. Le taux de réussite au BAC équivaut ou dépasse presque tous les ans le taux de réussite nationale, s’en enorgueillissent les responsables de cette école.

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Tag sur les murs de l’Association Etoile Culturelle d’Akbou. Libre !

Redonner une chance

Ecole du Jeune Citoyen. Voilà un nom évocateur. D’abord, les enseignants de cette école donnent statut à ceux qui en sont privés. Une première démarche qui en dit long sur le regard empathique et solidaire que portent les membres de l’association sur ces jeunes rejetés par l’école publique. Dans cette optique, cette école s’est développée avec l’intention certaine de redonner une chance à des classes de jeunes, ayant le niveau terminal, de se réinsérer professionnellement et socialement. L’encadrement mis en place permet aux filles et aux garçons de repasser le BAC ou de passer des examens d’entrée dans des établissements dédiés à la formation professionnelle. A l’Ecole du Jeune Citoyen sont étudiées les mêmes matières qu’à l’école classique, mais pas uniquement. Un programme très riche a été élaboré afin d’élargir les champs d’intérêts des élèves.

Sont proposés des séances d’éducation environnementale, sanitaires, sportives, des débats autour de thématiques diverses qui concernent de près ou de loin les élèves « récupérés ». La majorité des élèves ont, d’ailleurs, choisi de s’inscrire à la bibliothèque. L’école s’est également entourée de professionnels de santé. Un encadrement psychosocial a été mis  a la disposition pour accompagner les élèves en difficulté. Grâce aux psychologues, certains trouvent enfin une oreille à laquelle ils peuvent se confier sans être jugés.

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Hajera, ex élève de l’Ecole du Jeune Citoyen, devenue enseignante dans cette même école.

L’incroyable destin de Hajera 

En parcourant les couloirs de l’école, nous croisons de nombreux pensionnaires de l’établissement. Tous paraissent heureux d’être là et beaucoup nous témoignent le plaisir qu’ils éprouvent à y étudier. L’Ecole du Jeune Citoyen offre une plus grande liberté et autonomie à ses élèves. Pas question de jouer au gendarme ici. On laisse au jeune le choix de venir ou de partir librement. Mme Hajera est l’un des nombreux exemples de réinsertion et de réussite de l’école. Contrainte de stopper l’école à 12 ans pour des raisons familiales, cette femme discrète et réservée est restée pendant des années à la maison, emprisonnée dans son foyer.

Cependant, une ambition profonde l’a conduite à reprendre des cours par correspondance des années plus tard à l’âge de 32 ans. Animée par une réelle soif d’apprendre d’abord et d’enseigner ensuite, elle a pu donner vie à son ambition grâce à l’Ecole du Jeune Citoyen. « Le président de l’association M. Mouloud Salhi m’a soutenu moralement et financièrement », confie-t-elle, « j’ai fait 7 ans de parcours d’affilé, de la 7eme année à la terminale, en suivant des cours par correspondance. Puis j’ai passé mon baccalauréat dans cette école en 2003 avec la première promotion. Je ne l’ai malheureusement pas obtenu car j’étais très fatiguée par ces 7 ans d’études sans interruption. En parallèle, j’ai suivi des formations de couture et broderie, de Marketing et de secrétariat de bureau. Je n’ai jamais perdu espoir. En 2009, après avoir repassé le BAC pour la cinquième fois, je l’ai enfin obtenu avec le soutien de l’association pour qui je travaillais dans l’administration », raconte cette interlocutrice qui cache difficilement son émotion.

Hajera a, aujourd’hui, 48 ans. Elle est en Master 2 des Sciences du Langage et  donne même des cours dans cette école « qui m’a offert la chance de sortir de la misère », raconte-elle sur un ton fier. « Vous savez, ce n’était vraiment pas évident. J’ai vécu des moments très difficiles, car à l’époque, dans la société, il n’était pas facile pour une fille de faire des études. J’ai du me battre pour ça. Maintenant, je passe toujours le même message aux jeunes, et aux jeunes filles surtout. Je leur dis, il faut combattre, parce que, comme on dit : c’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est en travaillant qu’on obtient ce qu’on veut », affirme-t-elle en affichant un joli sourire. Pour les jeunes de l’école, Hajera est un modèle de conduite. Une femme que le passé n’avait pas promis à la réussite qui leur donne aujourd’hui des cours et les encadre, c’est une preuve qu’à force de travail et de volonté, rien n’est impossible dans la vie.

« Nous ne laissons pas partir les mains vides »

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Zahdi Kechou, directrice de l’Ecole du Jeune Citoyen. Une femme pleine d’humanité et d’énergie positive.

Généralement, l’école accueille environ 40 élèves, « 20 pour les classes scientifiques et 20 pour les littéraires » nous explique la Directrice de l’école, Zahida Kechou avant de poursuivre « vous savez ici, nous avons toujours été très attachés à la parité, ça fait partie des valeurs de l’école, même si c’est rare de vraiment l’atteindre. »

Par manque de place, elle nous confie devoir à contrecœur refuser des élèves : «Souvent en début d’année je suis contrainte de sélectionner les élèves. Nous organisons des entretiens individuels et un conseil de classe avec les enseignants. Nous choisissons les élèves en fonction de leurs moyennes et de leur motivation. En tant qu’association, nous donnons la priorité aux jeunes qui n’ont pas les moyens, qui viennent de milieux défavorisés. »

Cela fait vingt ans que la Directrice de l’école consacre son temps et son énergie à ces jeunes. Très impliquée dans son métier, elle nous dit rester toujours en contact avec les anciens élèves qui viennent très souvent lui rendre visite « nous sommes restés très proches, la preuve aujourd’hui, nous sommes entourés d’anciens élèves qui viennent pour montrer l’exemple aux nouveaux.» L’objectif premier de l’école est que les élèves obtiennent leur baccalauréat, ce qui est légitime selon elle car c’est un véritable billet pour l’avenir. Si certains n’obtiennent pas le bac « nous ne les laissons pas partir les mains vides, nous les orientons directement vers des formations professionnelles »

De la formation de la jeunesse dépend l’avenir de la société

Chaque année depuis sa création, filles et garçons issus de milieux sociaux défavorisés, exclus du système scolaire et sans qualification retrouvent le chemin de l’école, de la connaissance et de la vie active. Le sort des jeunes filles préoccupe particulièrement le corps enseignant et associatif. Dans une société où le seul horizon pour certaines est de se destiner à être mariée et soumise aux travaux domestiques, l’Association Etoile Culturelle d’Akbou et son école les prennent en charge et leur fournissent un soutien psychologique primordiale dans leur construction.

Les jeunes en situation d’échec sont des proies faciles et fragiles pour les réseaux mafieux de la délinquance. La misère demeure le pire des fléaux : crime, délinquance, l’alcoolisme, sont autant de dangers qui guettent les jeunes s’ils n’en sortent pas, s’ils ne sont pas encadrés et écoutés. La jeunesse, c’est l’avenir, c’est sur elle qu’il faut miser. Comme disait Jean Jacques Rousseau : « La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse, la vieille est le temps de la pratiquer ». Si la jeunesse ne grandit pas sur des bases saines, sur des valeurs et des principes solides, si elle n’est pas instruite et cultivée, c’est toute la société qui en paiera le prix.