Le mouvement de grève au sein de l’Education nationale dure depuis maintenant un mois. 80% des enseignants du secondaire et plus de 30% du moyen, selon le Conseil autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’Education (Cnapest), observent une grève pour dénoncer une « précarisation » du métier. De son côté, intransigeant, le ministère de tutelle accuse les grévistes de prendre en otage les lycéens, notamment les candidats au BAC 2015. Dans un entretien avec Algérie-Focus, le coordinateur nationale du Cnapest, Nouar Larbi répond aux attaques dont son syndicat fait l’objet.
Propos recueillis par Djamila OULD KHETTAB
Algérie-Focus : Vous avez bouclé hier votre premier mois de grève par des marches et des sit-in dans plusieurs grandes villes du pays. Le mouvement de grève se radicalise-t-il ?
Nouar Larbi : Faute de réelles négociations avec l’administration et de prise en charge de nos revendications par le ministère de l’Education nationale, on est contraint de descendre dans la rue pour se faire entendre. Si aucune solution n’est trouvée dans les semaines à venir, on n’exclut pas d’organiser un sit-in national dans la capitale.
Le dialogue avec votre ministère de tutelle est-il interrompu ?
Depuis le 8 mars dernier [réunion entre les représentants du Cnapest et ceux du ministère de l’Education nationale au cours de laquelle un PV mettant fin au mouvement a été signé], il n’y a plus réellement de dialogue entre les enseignants-grévistes et le ministère. Seulement des contacts par-ci, par-là. On est clairement dans une impasse et nous le déplorons.
Pourtant, le département dirigé par Nouria Benghebrit vous a donné satisfaction sur certains points de votre plate-forme de revendications …
Oui, durant la rencontre du 8 mars, une seule de nos revendications a été entendue : la réintégration des professeurs dit en voie d’extinction. Il s’agit des anciens professeurs dont le statut a été dévalorisé suite à la loi de 2012 car ces derniers ne disposent pas de diplôme. Le travail qu’ils accomplissent est, pourtant, fondamental, ce sont eux qui forment la relève. Ce n’est pas normal que leur paye ait été diminuée. En France, il existe la VAE, Validation Acquise par Expérience. Malheureusement, en Algérie, on ne valorise pas l’expérience dans l’enseignement mais le diplôme seulement. Le Cnapest a exigé que ces anciens professeurs soient rétablis dans leur droit et que la différence de salaire leur soit remboursée. Les effets de loi de 2012 ne doivent pas être rétroactifs.
Pourquoi demandez-vous l’instauration d’une promotion automatique des professeurs alors qu’un tel système n’existe nulle part ailleurs ?
Ce n’est pas tant une revendication du Cnapest, mais plutôt une réaction de notre syndicat aux agissements bureaucratiques du ministère qui privent depuis 3 ans les enseignants de promotion. Il faut savoir qu’il y a, depuis 2012, 3 catégories : les professeurs de base, les professeurs principaux et les professeurs-formateurs. Il devait y avoir des examens de promotion pour permettre aux enseignants de passer d’une catégorie à une autre. Or entre 2012 et 2014, il n’y a eu qu’un seul examen de la sorte et encore c’est une mascarade. Le nombre de postes à pourvoir était dérisoire par rapport au nombre de candidats, une centaine de postes contre des milliers de postulants. Le Cnapest exige que le préjudice soit réparé, ce qui suppose la mise en place d’un examen de promotion des professeurs annuel, avec un ratio acceptable.
Autre revendication qui fait beaucoup jaser, la retraite au terme de 25 ans de service. N’est-ce pas un contre-sens au moment où la tendance mondiale est à l’allongement de la période de cotisation ?
D’abord, l’Algérie ne fonctionne pas comme tous les autres pays étant donné qu’on ne se trouve pas dans une économie de la rentabilité mais une économie de la rente. En France, par exemple, la caisse de solidarité nationale est alimentée par un ratio de 10 à 16 travailleurs pour un retraité. En Algérie, c’est seulement 2 personnes actives pour un retraité. On est dans dans une économie rentière, c’est malheureux.
Concernant notre revendication de départ à la retraite au bout de 25 ans de service, elle date de 2003. Il faut comprendre que le métier d’enseignant est devenu de plus en plus pénible dans ce pays, ces dix dernières années, avec la surcharge des classes, des programmes changés sans consulter ou former les enseignants, des méthodes d’enseignement réformées sans former les concernés, la pression des administrations des établissements scolaires et des associations de parents d’élèves. Il y a aussi le cas des élèves indisciplinés, la loi interdit désormais les châtiments corporels et verbaux mais, en contre-partie, l’enseignant n’a pas été formé à la psychologie de l’enfant et la façon de traiter un élève turbulent.
Dans notre pays, l’enseignant est systématiquement incriminé. Le ministère nous répond qu’il n’existe pas un pays au monde où la retraite des professeurs est à 25 ans de service, mais on a envie de lui demander : existe-t-il un autre pays au monde où les professeurs sont autant méprisés, où leurs fiches de paye sont diffusées à la télévision, où l’on monte les parents d’élèves, les enfants et les médias contre eux ?
Le ministère vous reproche de dépasser de votre mission initiale et de mener des activités politiques. Que lui répondez-vous ?
C’est entièrement faux. Le Cnapest n’a jamais agit à des fins politiques. D’ailleurs ce reproche n’a aucun sens puisque notre syndicat regroupe toutes les couleurs politiques. Au Cnapest, il y a autant de pro-Bouteflika que d’anti-gouvernement. Au contraire, ce sont les pouvoirs publics qui politisent l’école et sont en train de la détruire. Les dinosaures qui entourent la ministre, ces médiocres, manipulent les élèves et les associations de parents d’élèves contre les enseignants, ils s’en servent comme des boucliers humains. Ceux-là parlent de l’intérêt des élèves seulement quand nous menons une grève, le reste de l’année ils ne s’en préoccupent pas. Les enseignants et les élèves sont le maillon faible du ministère !
Les grèves au sein de l’Education nationale se répètent et s’éternisent. Vous estimez-vous responsables, en partie, de la dégradation du niveau scolaire ces dernières années ?
Si les grèves s’éternisent, c’est parce que soit nos revendications ne sont pas entendues, soit les promesses formulées par la ministre ou ses prédécesseurs ne sont pas tenues. Si le niveau des élèves baisse, c’est la faute des conseillers de la ministre. Ils n’ont rien trouver de mieux que de substituer les enseignants-grévistes par des CD. En plus ces CD datent de 2011, depuis, certains programmes ont été modifiés. C’est ridicule !