Le cri de détresse des étudiants en prépa à Alger

Redaction

Ce qui devait être le pôle d’excellence à Alger en matière de préparation au concours national des Grandes Ecoles d’ingénieurs s’avère être un véritable cauchemar pour les bacheliers algériens. Contre le manque de moyens et des conditions d’étude insoutenables, les étudiants de l’Eptsa se mobilisent. Reportage.

Ce matin, Salim n’a pas eu à se lever à 5 h du matin, endurer ses deux heures de trajet quotidien et avancer lentement au milieu de la circulation de voitures, qui tentent, comme lui, de rejoindre le centre d’Alger. Et pour cause, Salim, comme les quelques 500 élèves de l’Ecole préparatoire en sciences techniques d’Alger (Eptsa), est en grève depuis dimanche 10 novembre. « On a tout essayé, on est passé par la voie diplomatique, on a envoyé plusieurs courriers » mais l’arrêt des cours semble l’ultime recours pour « faire bouger les choses », explique ce représentant des élèves.

Aux côtés de Salim, Saïd, le second porte-parole du groupe d’étudiants grévistes, est remonté contre l’administration de son Ecole, qui n’a tenu aucune de ses promesses. « L’Eptsa est censé être un pôle d’excellence en Algérie mais on a même pas les moyens basiques pour étudier. Sur la brochure, l’Ecole promet des conditions d’étude rêvées. On s’est très vite rendu compte que ce n’était que du vent », déplore cet étudiant en deuxième année.

8 salles pour plus de 180 élèves

Créée en 2009, cette Ecole ne dispose toujours pas à ce jour de locaux « digne de ce nom », affirment les deux représentants du mouvement étudiant. La promotion de Saïd et Salim, qui compte plus de 180 élèves, est parquée dans huit salles du lycée Émir Abdelkader. Et comme s’ils n’étaient pas déjà assez nombreux, les premières années, près de 250 autres élèves de l’Eptsa, débarquent plusieurs fois par semaine sur leur site pour assister aux travaux pratiques. Le reste du temps, les premières années sont installés dans une partie de l’Ecole nationale des travaux publics à Kouba. « On nous avait dit que c’était du provisoire, le temps de rénover le lycée » mais quatre ans après le lancement des travaux les étudiants de l’Eptsa sont toujours dans cette situation précaire, dénonce Saïd. Laissé à l’abandon, le chantier de rénovation du lycée Émir Abdelkader n’est pas prêt d’avancer. En raison du classement au patrimoine mondial de l’Unesco de cet établissement, construit durant la période coloniale, il est difficile d’aménager les salles de cours aux normes de sécurité obligatoires pour abriter des travaux pratiques de chimie, fait remarquer Salim. « Ils ont voulu installé l’Eptsa dans ce lycée prestigieux, qui a accueilli Albert Camus et Jacques Derrida notamment, mais aujourd’hui on en paye le prix parce qu’il n’est pas adapté à nos besoins », se désole Saïd.

Pas de travaux pratiques faute de place

Et à cause de l’exigüité, le matériel destiné aux travaux pratiques, toujours dans les cartons, est entreposé dans la salle de lecture. « On nous dit qu’il n’y a pas assez de place du coup on n’a pas quasiment pas de travaux pratiques. Vous connaissez une seule classe préparatoire en sciences sans travaux pratiques au monde ? », interroge furieux Salim.

Ce sont d’ailleurs ces conditions d’étude rudes qui sont à l’origine de l’écrémage des élèves entre la 1ère et la 2ème année de prépa. « Ce n’est pas la sélection par les résultats qui explique la diminution des effectifs. La vérité c’est que la majorité abandonne le cursus au milieu de la première année à cause des conditions », confie Saïd.

Venir en cours en auto-stop

Un sit-in est tenu à l'entrée de l'Eptsa depuis le 10 novembre.
Un sit-in est tenu à l’entrée de l’Eptsa depuis le 10 novembre dernier.

A l’origine, l’Eptsa devait être un campus universitaire à l’américaine : hébergements, restauration, enceinte sportive, bibliothèque, salles d’études et de cours regroupé en un seul lieu. La réalité est toute autre : aujourd’hui l’Ecole est dispatchée aux quatre coins d’Alger, au grand damne des étudiants. « J’ai la chance d’avoir une grand-mère qui vit en centre-ville », raconte Saïd, originaire du quartier de Chéraga, situé dans la banlieue Ouest de la capitale, « ce n’est pas le cas de la majorité d’entre nous qui vit en périphérie et qui n’est même pas véhiculée ». Alors chaque matin, c’est le parcours du combattant pour arriver à l’heure à l’Ecole. « Certains font de l’auto-stop jusqu’à un arrêt de bus ou de métro », glisse Salim, originaire de Rouiba, qui craint tous les jours de ne pas trouver une place où stationner. « Comment voulez-vous arriver à l’heure dans ces conditions ? En plus certains de nos professeurs ne sont pas compréhensif, ils ne tolèrent aucun retard », regrette Salim. « Pour éviter les embouteillages de 17 H, je reste étudier à l’école jusqu’à 20 H ce qui fait que je ne suis jamais chez moi avant 21 H », poursuit le jeune homme, les yeux fatigués par un rythme effréné.

Les étudiants algérois s’estiment pénalisés par un système éducatif injuste. « On ne peut pas prétendre à une chambre en résidence universitaire parce que nous sommes tous Algérois. C’est injuste parce qu’on a pas choisi cette prépa. On a été déversé à l’Eptsa parce qu’on avait les meilleurs résultats au Bac », lâche Salim. « A la fin de l’année, il y a le concours national et les Algérois ne partent pas avec les mêmes chances que les autres prépa. A Tlemcen, Oran et Annaba ils sont dans de meilleures conditions », croit-il savoir.

A bout, les étudiants de l’Eptsa se mobilisent pour obtenir un « environnement de travail favorable » à leur réussite. Les deux représentants du mouvement on rencontré dimanche 11 novembre le sous-directeur pédagogique au Ministère de l’enseignement supérieur. Une rencontre « décevante » selon eux. « Ils nous a dit qu’à sa connaissance nous ne manquions de rien. On ne comprend pas, ce n’est pas la première fois qu’au ministère ils ont entendu notre histoire », confie Saïd. En effet, l’Eptsa est régulièrement secouée par des protestations estudiantines. En 2010, la grève s’était étendue sur 3 mois et les jeunes avaient accroché des appels de détresse dans les rues. Des courriers de plainte ont déjà été envoyées au Ministère de l’enseignement supérieur, à l’Office National des Œuvres universitaires et jusqu’à la Présidence de la République. Mais aucune n’a encore aboutie, la situation stagne. Alors la promotion de Salim et Saïd bloque l’accès au lycée Émir Abdelkader depuis dimanche dernier. Avec l’espoir que les autorités les entendent cette fois.

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