Interview. « Le bon chercheur algérien fait de la sous-traitance gratuite pour les pays développés »

Redaction

Abdelouahab Zaatri est enseignant et chercheur à l’Université Mentouri de Constantine.  Il est celui qui a mis en place le laboratoire des applications des technologies avancées  (LATA) de cette université. Il travaille depuis de nombreuses années sur le développement de systèmes robotiques en Algérie. Dans un entretien, il revient sur les défis que doit relever la Recherche Scientifique en Algérie. Il expose aussi les misères et galères que subissent les chercheurs algériens. Interview. 

Vous êtes enseignant-chercheur à l’université de Constantine. Racontez-nous ce que vous faites exactement dans cette université et présentez-nous votre parcours académique ?

La panoplie des activités de l’enseignant-chercheur commence par l’enseignement. Elle peut aussi inclure l’encadrement des étudiants, la recherche scientifique et technologique, la participation et l’organisation d’activités comme les séminaires. Pour l’enseignement, un certain nombre de cours doivent être assurés. On assure également l’encadrement des étudiants pour leurs travaux de thèses de masters et de doctorats. On gère aussi un certain nombre de projets de recherches nationaux ou internationaux. Il arrive que l’on assure et on participe à l’organisation de séminaires nationaux et internationaux. On entretient aussi des relations de coopération avec des labos et des universités nationaux et étrangers.

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Quant à mes travaux académique, j’ai produit, avec un groupe de collègues et d’étudiants, quelques livres et polycopies dans le domaine des technologies modernes comme « Les techniques de la recherche opérationnelle » en 2003; « Apprendre Java par l’exemple » en 2004;  « Asservissements et régulation industrielle » en 2005 et « Eléments d’automatismes’ en 2008. J’ai également produit des dizaines de publications et de communications nationales et internationales dans le domaine de la robotique, de la mécatronique et des énergies renouvelables. J’ai aussi dirigé divers projets de recherches de type national (CNEPRU, PNR) en collaboration avec plusieurs universités, et d’autres internationaux (INRIA- euro-méditerranéen, Projet Algérie-Afrique du sud). Mon domaine d’intérêt actuel porte sur le développement de systèmes robotiques, interaction homme-machine ainsi les énergies renouvelables.

S’agissant de mon parcours, en 1981, j’ai eu mon diplôme d’ingénieur polytechnicien, spécialité électricité, de l’Université Polytechnique de Louvain à Louvain-la-Neuve, en Belgique. Après avoir fait mon service militaire de 1982 à 1984, j’ai exercé, entre 1984 et 1989, en qualité d’ingénieur d’études auprès de la Sonelgaz à Constantine et à Annaba. De 1990 à 1993, j’ai travaillé comme enseignant vacataire à l’université de Constantine, avant d’être recruté en tant qu’assistant au département de génie mécanique du même établissement. En 1995, j’ai rejoint le laboratoire de Robotique à l’Université de Louvain, à Leuven en Belgique, en tant que chercheur. C’est là que j’ai eu, parallèlement, le diplôme de docteur en robotique en 2000, année où j’ai effectué mon retour à l’Université de Constantine. Depuis, j’y exerce en qualité d’enseignant-chercheur au département de génie mécanique. En 2002, je suis devenu maître de conférences, avant de devenir professeur en 2008. J’ai lancé, par ailleurs, un laboratoire pédagogique pour la formation et le transfert de technologie appelé LATA (Laboratoire des Applications de Technologie avancée).

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Quelles sont les difficultés que vous rencontrez régulièrement dans l’exercice de la recherche scientifique ? Avez-vous disposé de toute l’aide nécessaire pour mener à terme vos projets scientifiques ? 

A l’université de Constantine1, du fait de la pérennité du staff rectoral qui y subsiste depuis plus de 16 ans, le problème fondamental est le développement de lobbies qui occupent des postes de responsabilités. Au fil du temps, ils se sont renforcés en tissant des relations et en s’entourant de collaborateurs. Ils utilisent les moyens de l’université et les privilèges que leur confèrent leurs postes à fins personnelles. Ils en profitent sans retenue. Ils bloquent sournoisement toute initiative provenant de ceux qui refusent d’appartenir ou servir leur lobby.  Ces lobbys sont à l’origine de la fuite de nos collègues qui ont quitté le pays à la recherche de cieux plus cléments.  Ils sont aussi très bien organisés pour freiner et saboter les bonnes volontés qui y restent encore. Pour les repérer, il suffit de mesurer la facilité avec laquelle ils obtiennent les faveurs et les privilèges. A la faculté des ingénieurs, la non-prise en charge par le recteur des doléances soulevées encourage les éléments du lobby à s’accaparer de l’université et l’utiliser à des fins personnelles en toute impunité.

Quant à la recherche, d’abord, elle n’est pas actuellement connectée au monde opérationnel des institutions et des entreprises. Cette situation limite la recherche au fait qu’elle demeure juste une activité de mise à jour des connaissances du chercheur dans le meilleur des cas. Les meilleurs travaux sont exploités par les labos et les pays étrangers qui en ont vraiment besoin. Ainsi, le bon chercheur algérien fait de la sous-traitance gratuite pour les pays développés et émergents.

Ensuite, la recherche est dirigée par la Direction Générale de la Recherche Scientifique et du. Développement Technologique (DGSRDT), basée à Alger. Il n’existe pas d’interlocuteurs directs avec le chercheur qui se trouve déconnecté du système de prise de décision.  Les liens avec la DGRSDT sont strictement organiques et formels. Elle n’apporte aucun soutien au chercheur. Preuve en est le faible impact des nombreux projets PNR ainsi que les résultats des labos qui restent peu ou pas visibles sur le terrain.

L’officialisation de labos est très contraignante car elle exige un nombre minimum élevé de chercheurs.  Ce nombre pose des problèmes de gestion, de coordination, et affaiblit les performances. Puis, la gestion des projets à caractère technologique et expérimental est rendue difficile par le manque d’appui au chercheur sur le plan logistique. Il en est ainsi de du processus de recherche, d’achat, de réception et de mise en œuvre des produits. Il y a aussi un manque de disponibilité et de présence physique des chercheurs au niveau du laboratoire.

L’on peut citer également des difficultés dans l’enseignement pédagogique qui se répercutent sur le travail de recherche. Il s’agit, d’une part, de l’insécurité grandissante due aux provocations, menaces et agressions à l’encontre des enseignants. La peur des grèves enclenchées par les étudiants mène parfois, comme c’est le cas de la faculté des sciences de la technologie, le doyen à annuler les sanctions prises au niveau du conseil de discipline des départements. D’ailleurs, il y’a eu le cas du doyen qui a, lui-même, subi une agression physique de la part d’un étudiant. Mais l’essentiel pour lui était de garder son poste préserver ses privilèges. D’autre part, les conditions de travail n’aident pas. Les salles de cours sont délabrées, les tableaux sont désuets et les ateliers et labos ne sont pas bien entretenus, entre autres.

Les étudiants algériens sont-ils intéressés par les travaux de recherche ? Sont-ils suffisamment engagés pour développer leur créativité dans des laboratoires ? Ont-ils le niveau nécessaire pour devenir des chercheurs ? 

Un petit nombre est réellement intéressé par la recherche et dispose de la formation adéquate et du niveau requis. En revanche, la majorité n’est intéressée que par le diplôme. Dans le domaine de l’engineering, le niveau général des étudiants est particulièrement très faible car la moyenne au bac requise pour y accéder est très faible, contrairement à d’autres filières, comme la médecine. Cette politique de quotas a sérieusement abîmé la qualité de l’enseignement et de la recherche. Au niveau des labos, le problème réside dans le manque de présence et de disponibilité des étudiants engagés dans la recherche. La plupart des étudiants évitent les travaux de créativité et d’innovation qui impliquent un bon niveau de base, une bonne formation, beaucoup d’intéressement au sujet avec le développement de dispositifs expérimentaux. Ces étudiants se tournent vers les travaux théoriques de simulation pour obtenir le diplôme.

Par ailleurs, les étudiants ont des problèmes de communication. Ils ne maîtrisent pas les langues étrangères, le français et l’anglais, qui sont indispensables à la recherche.

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Pourquoi selon vous la recherche scientifique algérienne peine à se développer et émerger alors que dans plusieurs pays africains, elle ne cesse d’évoluer ? Qu’est-ce qui cloche réellement ? 

D’abord, l’échec de la recherche scientifique reflète l’échec de la politique de développement du pays qui est basée sur l’importation des produits finis et semi-finis. Puis, il n’existe pas, ou très peu de projets stratégiques sont confiés aux chercheurs avec une évaluation effective des résultats

Ensuite, la recherche appliquée, qui est le moteur de développement, n’est pas connectée aux entreprises industrielles, seules à même de permettre la promotion, la valorisation et l’exploitation des résultats de la recherche scientifique. De ce fait, la recherche s’oriente vers des sujets théoriques, sans rapport spécifique avec notre réalité. Elle vise plutôt à obtenir des publications pour la promotion individuelle. Ainsi, les résultats de notre recherche profitent aux autres pays qui recherchent l’amélioration, l’innovation, et les nouvelles idées.

En effet, des pays africains, nord africains et méditerranéens ont développés des politiques cohérentes liant effectivement et fermement la recherche à l’industrie. D’autre part, ils basent leur formation sur l’aspect qualitatif et non pas quantitatif, contrairement à l’Algérie. En plus, des pays comme la Tunisie, le Cameroun, la Turquie, l’Afrique du sud, essayent de coupler leur formation universitaire et la recherche avec les pays développés pour bénéficier de leur expérience.

Ce qui cloche c’est que la DGRSDT (Direction Générale de la Recherche Scientifique et du Développement technologique) n’a pas réussi à dépasser ce slogan pour en faire une véritable recherche au service du développement.

Avez-vous songé à quitter l’Algérie pour rejoindre des universités des pays développés ? Pourquoi êtes-vous êtes encore là alors que de nombreux chercheurs algériens ont déserté nos universités ? 

J’ai eu la chance d’effectuer toute ma formation à l’étranger (ingéniorat, doctorat). Cela a permis mon épanouissement et je dispose encore de contacts et de relations de travail avec l’étranger grâce à Internet et mes voyages personnels. Je trouve naturel de rentrer et de vivre au pays.  Cela m’a aussi permis malgré tout de contribuer à la formation, à la recherche et à la réflexion sur les questions de développement de mon pays. Par ailleurs, les meilleures propositions dans le domaine de la robotique proviennent des USA mais c’est un pays qui est relativement éloigné.

Si vous pouviez vous adresser au Président de la République pour lui parler de la recherche scientifique, que lui diriez-vous ?  

Je l’ai déjà rencontré en 2013 lors d’une rencontre inter-universitaire, à l’occasion du décernement  d’un prix récompensant un travail de télé-robotique accompli par un de mes étudiants. J’ai eu à discuter très brièvement avec lui de quelques projets hautement stratégiques qui étaient en cours de conception mais il n’y a eu aucun suivi par la suite. Mes étudiants l’ont également rencontré en 2004 à Alger où ils ont exposé des travaux expérimentaux sur la robotique et les énergies renouvelables à l’époque (systèmes de tracking pour panneau solaire, la télémanipulation basée vision), il n’y a eu aucune suite non plus, nonobstant les encouragements de circonstance.

Il semble qu’il aurait donné des recommandations pour que l’on encourage et on facilite le travail à mes étudiants mais cela n’a pas été suivi d’effet. S’il faut dire quelque chose au Président de la République, j’aimerais lui demander de revoir toute la politique du pays  pour lancer une planification stratégique nouvelle hors hydrocarbures et basée sur la valorisation de la ressource humaine, la relance et le développement de la production nationale, la compétition, l’innovation comme ont fait les Indonésiens, les Malaisiens, les Iraniens, etc. Que la recherche scientifique appliquée est la clé du développement d’un pays. Que la formation qualitative est plus payante que la formation quantitative. Qu’il faut assurer l’égalité des chances et favoriser la compétition loyale entre étudiants et chercheurs.  Qu’il faut confier les responsabilités à de vrais responsables plutôt qu’à des individus qui en usent pour leurs intérêts personnels.