Cette année le Mouloud ( Elmawlid ennbawyi ) sera célébré le même jour que Noël. La date de naissance du Prophète Mohammed (asws) coïncidera avec celle de Jésus ( Sidna Aïssa ), Prophète des Chrétiens. Le symbole est magnifique et je préfère y voir un signe de Dieu, par ces temps très difficiles où le Créateur de l’Univers est malmené par la folie des hommes et où on continue à exterminer ses propres créatures en son nom, comme aux temps des siècles obscurs.
Je refuse de parler de hasard ou d’évoquer un caprice de calendrier, lorsque le ciel nous invite à célébrer la venue de deux messagers de l’amour et de la paix. Jésus est le fils de Marie ( Maryam ) et quand on sait que le Coran célèbre sa mère plus que ne le fait l’Evangile et qu’une sourate entière lui est dédiée ( Coran : 19 ), on mesure encore plus la force du symbole. « Rappelle aussi l’histoire de Marie, telle qu’il est fait mention dans le Coran… » 19/16 « Nous ferons de cet enfant (Jésus) un signe pour les hommes et une miséricorde émanant de nous. » 19/21.
Si Dieu a décidé de faire de Jésus une miséricorde (rahma), au nom de quoi des hommes se réclamant de l’islam, qualifient de mécréants et d’ennemis de Dieu ceux parmi les gens du Livre ( Ahl el kitab ) qui ont choisi le Christianisme? Au nom de l’ignorance probablement car les hommes sont les « ennemis de ce qu’ils ignorent ». Très peu de nos imams ont lu l’Evangile mais la grande majorité des prêtres ont étudié l’islam dans les séminaires ou dans les universités théologiques.
Comment pourrait-on se connaître si on s’ignore ? De quel droit pourrait-on juger les autres ? Ce sont peut-être ces contradictions et cet abîme culturel qui expliquent la crispation, souvent violente de nos imams à l’égard des autres religions monothéistes et l’absence de dialogue, bien loin de notre propre histoire et de l’enseignement coranique. « Ô gens du Livre ! Venez tous à une parole qui nous est commune à tous. » Coran : 3/64. Une invite divine au dialogue, au respect mutuel et à l’élimination de toute source de conflit qui pose les fondements mêmes de la tolérance. La disparition progressive de cette vertu de notre environnement spirituel et philosophique est probablement la raison principale de notre enfermement religieux qui frise l’inceste métaphysique ; tant le cercle de la vertu se rétrécit de plus en plus sous l’effet conjugué de l’ignorance et de la volonté délibérée des Intégristes.
Ceux-ci, non seulement considèrent les Chrétiens comme les « ennemis de Dieu » mais poussent l’arrogance jusqu’à oublier les enseignements du Prophète en incitant les musulmans vivant dans des pays non-musulmans à réclamer des lieux de culte sans accords de réciprocité. Le Régime saoudien, en refusant l’existence d’églises sur son territoire, dénature tout simplement l’esprit et la lettre de l’enseignement coranique, car il ne peut se poser en héraut du Sunnisme et ignorer superbement le « Pacte de Najran », par exemple.
Pour mémoire, en 631, une délégation de 70 chrétiens dont 14 notables, établis dans la communauté de Najran (Yémen), à quelque 600 km de Médine, la cité où vivait Le Prophète (asws), s’était rendue à Médine chez lui pour négocier les conditions de leur relations avec la communauté musulmane. Les Chrétiens voulant suspendre la réunion et chercher un endroit pour accomplir leur prière, Le Prophète (asws) les invita à prier dans sa propre mosquée. La même scène est tout simplement inimaginable aujourd’hui dans la Péninsule arabique, tant la déviation doctrinale chez les Wahhabites semble avoir pris le pas sur les fondements mêmes de l’islam. L’ostracisme qui frappe aujourd’hui les Gens du Livre est non seulement contraire à notre religion et à notre culture, mais il est de surcroît en contradiction totale avec nos traditions d’accueil et de dialogue. Alors veillons à ne pas nous laisser contaminer par des idées rétrogrades venues d’ailleurs et méditons plutôt quelques uns des nombreux versets coraniques qui nous invitent à plus de tolérance et de fraternité.
« Ne discutez avec les Gens du Livre que de la manière la plus courtoise. » Coran : 29/46
« Et tu trouveras que les Chrétiens sont ceux parmi les gens qui sont les plus proches des croyants (ici, les musulmans). » Coran : 5/82
L’Algérie, par son histoire ancienne, a connu un brassage d’une grande richesse dont elle a gardé des traditions d’accueil et de dialogue. Il serait surprenant qu’aujourd’hui on admette chez nous qu’au nom de l’islam, on refuse le dialogue entre les religions ou qu’on veuille imposer au nom d’on ne sait quelle nouvelle lecture des textes sacrés, des comportements inadmissibles comme celui de se poser en inquisiteur ou en juge des consciences. En vertu de quoi on s’érigerait aujourd’hui en gardien de la foi ? Certainement pas au nom de Dieu ; Seul Juge de nos actions.
Le rappel de ces vérités pourtant élémentaires, tombe à point nommé avec la concomitance de ces anniversaires, pour nous encourager à mieux nous connaître nous-mêmes en vue de mieux connaître les autres. Certes nous n’avons pas la même approche dans ces célébrations, parce que nous divergeons fondamentalement au plan dogmatique, mais loin de nous la tentation d’imiter servilement les Catholiques dans leur célébration de plus en plus dénaturée de la naissance de Jésus ni de rejeter catégoriquement quelque rite que ce soit. Notre devoir est d’écouter les autres pour mieux les comprendre et pour mieux nous faire comprendre, et de célébrer ce qui nous unit sans ignorer ce qui nous différencie.
Aziz Benyahia