Pour un peuple qui a officiellement entamé son éternel exode au lendemain de son indépendance officielle, voir son pays devenir à son tour la destination d’une immigration sud-sud est un phénomène incompréhensible.
Le comportement de l’Algérien face aux étrangers qui devaient transiter par son pays et qui s’y éternisent est autant incompréhensible. Mi accueillant mi xénophobe, l’Algérien s’habitue aux émigrés africains. Ces derniers aussi.
Ils sont quelques centaines à avoir prix d’assaut la place commerciale dite ‘Tahtaha’ de la ville nouvelle (Mdin Jdida), à Oran. Ils viennent du Niger, du Nigéria, du Mali, du Cameroun ou d’autres pays de l’Afrique noire. 48 nationalités différentes en somme, dont plus d’un millier recensées. Des émigrés qui, initialement, devaient transiter par la ville d’Oran pour rejoindre l’Europe via les côtes marocaines. Sauf qu’Oran s’est avérée pour nombre d’entres eux, le bout du tunnel.
En effet, les émigrés «africains» ou «negraoua» (les noirs), comme appelés péjorativement par les oranais, ont fini par s’installer définitivement à El Bahia, mettant au profit (des oranais) leur expérience mercantile, souvent, si ce n’est toujours, illicite.
La route vers l’eldorado européen via le Maroc est désormais plus difficile qu’il y a 8 ans et l’escale provisoire est devenue un refuge, paisible parfois, mais sinistre souvent.
Les frontières ouest du pays (avec le Maroc) sont fermées par des fils barbelés et elles sont devenues infranchissables à cause des barrières métalliques (3 mètres de hauteur) installées tout au long de la frontalière.
Ne pouvant faire marche arrière, ils ont fini par se trouver des repères, en séjournant dans les petits hôtels du centre ville ou en louant des appartements.
Un phénomène qui n’est plus inhabituel et dont les patrons d’hôtels et les «pluri-propriétaires» de logements se réjouissent.
Les malfrats, les trafiquants et autres « opérateurs économiques parallèles », y trouvent également leur compte.
Les immigrés africains sont des spécialistes en faux-billets et autres trafics.
C’est également une main d’œuvre bon marché et très négociable.
Sur le marché parallèle du change, les africains se sont imposés et sont devenus indispensables, notamment au lieudit le Garage (principale place où s’effectue le change dans la ville).
Mais pourquoi Oran ?
C’est simple : en plus de la proximité avec le Maroc (dernière ligne droite vers l’Espagne), « à Oran on passe inaperçu si on sait se faire discret, anonymat et activités garantis», confesse Ismaïl qui n’hésite pas à dire qu’il est musulman, histoire d’évoquer la compassion d’un peuple, paradoxalement, aussi naïf que circonspect.
Craintif à chaque contact étranger, Ismail finit par accepter de se confier un peu plus.
En gros, l’on apprendra que s’ils excellent dans le change, c’est parce que chaque immigré débarque avec une somme que toute sa tribu a épargnée pour qu’il fasse un jour son voyage vers l’Europe et s’offre les moyens d’aider les siens à sortir de la misère.
Avec un budget de 2.000 dollars – il s’agit là d’un montant minimum – il paye la moitié de ce capital aux passeurs (organisés) et essaye de continuer son chemin avec le reste vers nulle part.
Les choses virant souvent au drame pour la plupart, ils n’ont qu’un choix : prendre des risques pour continuer, en forçant souvent le destin, plus question de faire marche arrière.
Et comme le rush sur Oran est continuel, chaque mois, des sommes importantes débarquent dans la place.
Autres pratiques : prostitution, fausse-monnaie, drogue et parfois même, petites armes à feu.
Les africains ne survivent plus à Oran. Ils y vivent. Les brimades ne les dérangent plus.
Toutefois, une pratique a pris de l’ampleur et reste tout de même curieuse : ils font aussi la manche.
Se déplaçant dans des rues et des quartiers pas forcément spécifiques, quelques individus ne manquent pas d’interpeller les passants et les groupes de jeunes pour demander de l’argent, et rien d’autre.
Auparavant, les âmes charitables dans les quartiers populaires comme à Petit Lac n’hésitaient pas à les inviter à séjourner quelques jours, notamment pendant le mois de Ramadhan.
Mais aujourd’hui, les gens sont plus prudents. Même leurs partenaires algériens de Mdina Jdida s’en méfient.
Tentant d’interroger quelques immigrés dans leur fief commercial cité, des barbus viennent vers nous pour nous expliquer qu’il ne faut pas les croire. «Ils mentent tous, changent d’identité et se font passer pour des victimes, alors qu’ils sont à l’origine des nouveaux fléaux qui sévissent dans notre société».
Evoquant les activités des jeunes filles émigrées, un commerçant algérien poursuit dans son délire extrémiste en parlant de sorcellerie et de sida.
Ismail est craintif à présent. Et on comprendra pourquoi, quand on nous fera savoir qu’on n’hésite pas à les frapper à coup de bâton, et parfois avec une matraque.
Les arrestations se multiplient au point où les chiffres communiqués par les autorités locales sont de plus en plus loin de la réalité relatée par ces africains.
En dépit de tout cela, ils continuent à préférer l’Algérie, et particulièrement Oran, aux villes marocaines, pourtant propices à un débarquement vers l’Europe.
La xénophobie modérée des algériens est un cadeau face au traitement subi au Maroc.
En effet, les noirs préfèrent patienter plus longtemps en Algérie que de prendre le risque de finir en « mini-prisions ».
S’ils se faisaient voler et agresser à Oran au début du phénomène (2002), au Maroc aujourd’hui ils risquent carrément leurs vies, confesse le commerçant de Mdina Jdida.
Néanmoins, un drame s’est déroulé il y a deux ans à Oran : les habitants de Sid El Houari ont pris d’assaut un hôtel du quartier où séjournaient des noirs. Ce fut une véritable bataille qui s’était soldée par un mort dans chaque camp, des blessés et des arrestations.
Malgré cet incident, ils (les immigrés) se sentent encore en sécurité. Les «negraoua» sont bien à Oran et le plus curieux, quand on interroge quelques-uns d’entre eux, c’est qu’ils répondent qu’ils ne sont pas pressés de partir.
Toutefois, des départs ont lieu de temps à autres vers l’Europe, souvent à partir des côtes algériennes, moins risquées d’après eux.
Mais l’idéal reste de transiter via le Maroc où, une fois les frontières franchies, et si le passeur est sérieux, c’est gagné. «Ce ne sont pas les barrières frontalières ou la surveillance qui nous dissuadent, mais l’insécurité au Maroc…», explique Ismail avant de se rendre à la mosquée. Il semble avoir décelé une certaine rancune entre les deux pays voisins et qu’il exploite à sa manière. Aussi, il est conscient que de l’autre côté des frontières… c’est une autre histoire.
Redouane Benchikh
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