Traducteur et journaliste indépendant, Hamid Zanaz collabore à différentes publications arabes et françaises. Contributeur permanent à la revue de la ligue des rationalistes arabes, Al Awan, il donne aussi des conférences sur l’islam. Il est l’auteur de nombreux essais, tant en arabe qu’en français, sur différents problèmes sociétaux touchant à la religion, à la sexualité, à la politique ou à la science dans le monde islamique.
Algérie Focus: Quelle est réellement ta vision de l’Islam et de la religiosité dans un pays comme l’Algérie en particulier et dans le monde arabo-musulman en général ?
Hamid Zanaz: La liberté de conscience, le droit de philosopher, la tolérance, l’autonomie de l’individu, le libre usage de soi, l’égalité entre les sexes, ces questions et beaucoup d’autres encore ne pourraient se résoudre dans le cadre de la religion. Toutes les religions, l’islam en premier, sont intrinsèquement hostiles à ces droits fondamentaux de l’homme. La panne des pays de l’islam est plus structurelle qu’accidentelle. Elle est imputable à la non distinction entre le temporel et le spirituel. Faute de cette séparation inconditionnelle, l’obscurantisme deviendra un horizon indépassable dans ces pays.
Cette religiosité envahissante sert, en premier lieu, des régimes décadents, en mal de légitimité. Ces régimes postcoloniaux ont aggravé les processus de régression sociale, intellectuelle, culturelle et politique, pour déboucher dare-dare sur le fondamentalisme. Dans ces pays, il ya une confusion entre le culturel et le cultuel, l’information et le catéchisme, la connaissance et la croyance. Dans ce désordre mental, la religion s’empare de la vie et l’irrationalité risque de ramener ces sociétés davantage en arrière.
Cette religiosité à usage externe est exploitée par les marchands de l’au-delà, non seulement comme vaccin contre toute évolution de la société vers la sécularisation, mais aussi comme une barrière devant toute spiritualité. Peut-on parler de spiritualité à propos d’une pratique réduite à quelques manifestations épisodiques de prières, de jeûne ou de pèlerinage, s’est interrogé, un jour le grand spécialiste algérien du monde arabe , Djamel Eddine Benkcheich.
En deux mots, cette religiosité voyante n’a rien à voir avec la spiritualité. C’est une métaphysique de pauvres. Elle n’apporte pas grand-chose à la vie de tous les jours. Il suffit d’observer les comportements des automobilistes, la saleté des rues, l’environnement, les échanges entre les gens en Algérie, etc. Les islamistes exploitent cette religiosité dans le but de transformer une majorité religieuse en une majorité politique.
Un de tes livres s’intitule : L’Islamisme vrai visage de l’islam ? Est-ce que tu laisses entendre que l’extrémisme est consubstantiel à la religion musulmane ? Ne crois-tu pas que cette position est un extrémisme en soi ?
L’intégrisme est-il la maladie infantile de l’islam ? Enfant pervers, peut-être mais enfant légitime quand même. Il fait partie de la famille. Si la majorité des commentateurs voient en l’islamisme « l’islam de la crise », je vois, au contraire, qu’il est « la crise de l’islam « . Je traduis : L’intégrisme n’est pas une simple déviation de l’islam. Persister à le voir comme une simple maladie guérissable de ce dernier, c’est rendre malade ce qui ne l’est pas. L’intégrisme est à l’Islam ce que le chômage est au capitalisme. Inhérent. Si tous les musulmans ne sont pas islamistes, tous les islamistes sont musulmans. Il n’est pas aisé, voire difficile, de tracer une ligne de démarcation entre les premiers et les seconds. Tous les musulmans croient que l’islam a apporté une solution globale et définitive au genre humain.
L’islamisme n’est que l’islam poussé à son terme. Être intégriste, c’est aller jusqu’au bout de sa foi.
L’intégrisme est inscrit dans la nature de toute religion. L’accident révèle la substance (Aristote). Les sources du fondamentalisme sont très ancrées dans la religion. En dépit de l’importance de ses autres origines, il reste le fils légitime de l’islam. C’est le résultat logique que portait dans son ventre la vision théologique islamique du monde. Toute explication qui ne tient pas compte de cette réalité se condamne à naviguer dans les eaux tranquilles du matérialisme mécaniste. Elle ne peut, en aucun cas, contribuer à aider les musulmans à échapper aux engluements de leur tradition Aujourd’hui, tégrisme couve partout, il n’est plus à l’état artisanal. Par les moyens des États eux-mêmes, il a accédé au stade industriel. La question qui se pose à l’heure actuelle n’est plus : Qui est intégriste ? Mais, qui ne l’est pas ? Avant d’être un programme politique, l’intégrisme est un état d’esprit. Son effet se ressent dans la vie de tous les jours. Tout jeune non contaminé pourrait écrire son « journal d’un rescapé de l’islamisme ». L’intégrisme va de soi, c’est le contraire qui surprend. Ne pas être intégriste est un exploit en terre d’islam.
Existe-t-il un Islam éclairé à tes yeux ? Et si non pourquoi ?
Aujourd’hui, l’islamisme est une épidémie. Cette utopie peut malheureusement avoir de beaux jours devant elle. Je n’ai aucune raison d’être optimiste quant à l’avènement d’un quelconque islam libéral. Seule une révolution mentale pourrait faire disparaître les ingrédients du fondamentalisme et peut-être désamorcer la bombe de la charia qui tique-taque depuis longtemps dans le ventre de tous les pays d’islam. La foi a toujours exercé une répression symbolique et physique dans les sociétés de l’islam. Avec l’intégrisme, elle aspire à se transformer nettement en un appareil d’État répressif. L’islam savant produit souvent une foi armée. Une foi contre la loi, au service du rêve théocratique. « Une foi exterminatrice ».
Comment, selon toi, peut-on séculariser la société algérienne ? Est-elle capable d’accepter la sécularisation ? Est-ce que cette sécularisation est finalement réellement nécessaire pour développer l’Algérie ?
La société algérienne est en voie de sécularisation, par exemple, on ne coupe pas les mains des voleurs, pas de flagellation en public, pas de mariage avant un certain age, la femme peut être juge … on ne veut pas le mot mais la chose est là. Cela dit, les ennemis de la séparation sont légion en Algérie, mais personne ne pourrait arrêter ce qui est nécessaire.
Quelles solutions proposes-tu finalement de manière concrète contre le fanatisme et l’intégrisme ?
Moderniser les programmes scolaires; interdire les partis islamistes; réécrire la Constitution algérienne, la laïciser, remettre en cause particulièrement l’article 2 « L’Islam est la religion de l’État« ; promouvoir une diversité culturelle; garantir une liberté de conscience…etc.