La Zakat improprement traduite en français par « aumône légale » est le troisième des cinq piliers de l’Islam. La traduction la plus appropriée serait plutôt « impôt de solidarité » car elle introduit les notions d’obligation et de solidarité alors que l’aumône est un acte volontaire teinté d’une touche de charité condescendante qui peut altérer la noblesse du geste. Du reste, l’islam fait bien la différence entre un pauvre (qui ne fait pas état de son dénuement), un nécessiteux (qui ne demande pas l’aumône) et un mendiant qui n’est pas forcément dans le besoin.
Etymologiquement, le terme signifie « purification » : Le Coran ( 9/103) dit : « Prélève de leur bien une aumône pour les purifier et les bénir ». Il s’agit ici de contribution obligatoire, acte par lequel le fidèle fait le bilan annuel de sa fortune pour en prélever l’équivalent de 2,5% du montant de la « richesse dormante ». Il faut entendre par là, la somme d’argent gelée durant une année ( nécib ) et qui n’a donc pas servi à produire du travail ou de la richesse. Cet impôt s’appelle aussi « Zakat al-mal » (impôt purificateur sur la fortune) pour la différencier de « Zakat al fitr » qui correspond à l’équivalent du prix d’un repas quotidien que le jeûneur doit verser à un pauvre, au plus tard à la veille de l’Aïd.
Si on attribue à la Zakat la noblesse du geste et la plus belle illustration de la solidarité en Islam, on n’en connaît pas toutes les vertus, ni la portée universelle de la valeur humaniste que lui reconnaissent les plus grands spécialistes des religions.
Il faut savoir que la Zakat est une obligation canonique qui permet au fidèle de purifier son âme de l’avarice, de l’égoïsme, de l’avidité et de la cupidité.
Les montants recueillis par les associations caritatives ou par les structures étatiques sont destinés aux pauvres et aux plus démunis. Les montants redistribués sont calculés en fonction de la situation sociale du bénéficiaire et ne doivent en aucun cas l’affecter dans sa dignité d’homme en lui laissant passer qu’il aurait reçu une aumône pour laquelle il n’a jamais tendu la main. Le geste doit être compris comme un acte de solidarité qui permet d’une part, de venir en aide aux accidentés de la vie – y compris des non-musulmans, faut-il le rappeler ? – et d’autre part de fournir l’occasion à ceux qui ont accumulé des richesses, pas toujours hélas par des moyens honnêtes, de faire le bilan de leurs fortunes et de se rappeler que leur richesse est aussi éphémère que leur vie et qu’ils ont une obligation de solidarité à l’égard des hommes des femmes et des enfants qui n’ont pas eu les mêmes chances qu’eux dans la vie. Cette contribution à la solidarité collective est considérée comme un droit prélevé sur le surplus des riches pour être redistribué aux pauvres et aux nécessiteux.
En terre d’islam, selon les régimes politiques en place, la Zakat est plus ou moins dénaturée. Ainsi les sommes colossales récoltées dans les pays riches, sont orientées – faute de pauvres nationaux – vers les pays pauvres afin de les aider à subvenir aux besoins vitaux de leurs populations. On constate cependant que des fatwas sur mesure sont décrétées pour détourner l’utilisation de l’argent récolté, à des fins non conformes aux prescriptions coraniques telles que constructions de mosquées ou prosélytisme plus que tendancieux, quand on connaît les orientations particulières de l’islam en péninsule arabique.
Chez nous la situation est différente car le rite malékite est très respectueux de l’esprit et de la lettre de la Zakat. L’argent récolté dans les mosquées est redistribué selon des règles démocratiques, justes et équitables et cette opération souffre rarement de contestations.
En revanche l’argent servi directement aux associations caritatives ou à des structures étatiques peut parfois être destiné à d’autres usages.
Fort heureusement la plupart des associations veillent à ce qu’il n’existe pas de confusion entre la mission régalienne de l’Etat vis-à-vis de ses populations ( éducation, santé, cantine scolaire, œuvres sociales etc…) et les actions de charité, de secours ou d’aides pérennes qui sont prises en charges par l’argent de la zakat. L’argent collecté de la Zakat ne doit jamais être noyé dans le budget de l’Etat afin de ne pas servir à couvrir des dépenses qui relèvent de ses obligations.
La Zakat dans son expression conforme à la lettre et à l’esprit du Coran est la voie royale vers la réalisation de la solidarité humaine. Il suffit de voir la mobilisation citoyenne durant tout le mois de Ramadhan, pour se dire que nous avons tous les moyens de réaliser une société juste et distributive, qui vienne palier les inévitables insuffisances d’une mauvaise gouvernance.
Malheureusement, cet élan remarquable de solidarité et de dévouement s’estompe immédiatement après la fin du ramadhan.
Sommes-nous responsables individuellement?
La réponse est : Oui. Parce que d’une part, tous les musulmans ne s’acquittent pas de cette obligation – loin s’en faut – et d’autre part, parce que la Zakat est un acte individuel dispensé par le fidèle lui-même qui ne saura pas toujours répartir l’argent distribué, malgré une codification très précise : Coran : 9/60. Ces deux incertitudes rendent utopique toute vision idéalisée de la société musulmane.
L’Etat est-il responsable de ce manque de solidarité ?
La réponse est : Oui. Car l’Algérie dispose de suffisamment de ressources pour garantir cette solidarité : accès égal pour tous aux besoins essentiels, aux soins, à l’enseignement, au logement, au travail, aux loisirs etc…L’argent de la zakat récolté par les structures sous tutelle de l’Etat viendrait en appoint lors de circonstances exceptionnelles.
Ce constat nous laisse chaque année un goût amer, parce que nous en gardons un sentiment terrible d’hypocrisie collective. De guerre lasse, les plus acharnés d’entre nous qui se battent pour une société plus juste, qui replace l’homme au centre de toutes nos actions, finissent par désespérer d’y arriver un jour. Ce sentiment d’impuissance est encore plus douloureux quand on sait que nous avons tant d’atouts pour y arriver : L’islam véridique et les ressources naturelles.
Aziz Benyahia