» la Charia n’a jamais fonctionné vraiment »
L’intellectuel Malek Chebel est un auteur prolifique. Son récent ouvrage’ Le Kama-Sutra Arabe » est une nouvelle charge pour tordre le cou aux idées reçues et défendre son islam des lumières.
De la sexualité dans l’islam aux différents qui divisent les penseurs musulmans contemporains, il explique dans l’entretien accordé à Algérie Focus les raisons qui laminent une religion et ses croyants victimes de l’extrémisme.
algerie-focus.com : Il vous a fallu vingt ans de recherches pour écrire quatre cents pages qui résument deux milles ans de sensualité et d’érotisme arabe. Parlez-nous un peu de votre dernier ouvrage, Le Kama-Sutra Arabe (1)
Malek Chebel : C’est une anthologie de textes érotiques des origines à nos jours. Elle englobe la période allant d’avant l’islam, la Jahiliya (ignorance), jusqu’à aujourd’hui.
2-Selon vous le IX siècle a marqué le début du déclin de l’islam des lumières avec l’avènement de la charia et ses moult interdits contrôlant la vie et le corps des hommes – mais surtout des femmes. Onze siècles ont passé depuis, mais cette idéologie est toujours portée au pinacle par des islamistes de tous bords la présentant comme seul remède au trouble de la « Ouma » Comment expliquez-vous cette longévité de la Charia?
C’est plus compliqué que cela. Je dis que le IX siècle a été le siècle de la codification du dogme. Durant cette période, la charia s’est installée de manière définitive. Elle a trouvé ses modèles, son rythme de croissance. Je dis aussi que le IX siècle était l’ennemi de la femme, parce que tout le clergé était masculin, et la codification de l’islam a été vue par le théologien masculin.
Le siècle des lumières vient plus tard comme dépassement et contournement du IX siècle.
Je prétends que le siècle des lumières c’est le XI siècle, c’est l’Andalousie. A l’époque l’islam était intégré à la réalité commune, mais aujourd’hui il est utilisé pour des raisons politiques.
Il n’y a jamais eu de califat unique pour gouverner toute la Ouma, hormis peut-être celui des Omeyyades. Mais, il a été effacé par les Abbasside, de purs libertins, pratiquement sans foi, ni loi qui ont pris le pouvoir par la force.
La charia et le califat, dont en parle aujourd’hui, ce sont que du « pipeau » dans le sens où ça n’a jamais fonctionné vraiment. Si ça n’a pas fonctionné au début pourquoi voulez-vous que ça fonctionne 15 siècles après. On ne reviendra jamais et en aucun cas sur ces cas de figures du passé, jamais ! C’est un délire des fondamentalistes pour déstabiliser les gens. Le message divin parle au cœur avant de parler à l’organisation sociale. L’islam est une religion qui s’adapte à l’air du temps. Et pour le commun des mortel, la démocratie est aujourd’hui le système fonctionnel, elle répond beaucoup plus aux besoins des gens que l’autocratie ou la théocratie
Nombre d’observateurs préviennent que si des élections sont organisées démocratiquement dans les pays musulmans, les islamistes seraient probablement plébiscités par la vox populi, excepté peut-être en Algérie. Ils en veulent pour preuve l’exemple des Frères Musulmans en Egypte, du parti Al-Adl Wal-Ihsane (Justice et bienfaisance) au Maroc, les Talibans qui reprennent du poil de la bête en Afghanistan…Quelles sont les raisons, selon vous, de ce retour en force d’une religiosité politique ?
Je suis de ceux qui constatent, que si on laissait libre cours à la propagande islamiste par exemple en Algérie- dont je connais parfaitement le dossier-, au Maroc, en tunisien, partout dans tout le monde arabe, les extrémistes deviendraient la première force politique du pays. Ce que je conteste c’est la nature même de ces partis politiques ; L’islam n’est pas la propriété privée des uns et des autres Je dis que dans la mesure où les richesses nationales ne sont pas redistribuées équitablement, que les parlements ne sont pas autonomes et indépendants, que la presse est contrôlée, cela permet au islamistes d’avoir pignon sur rue pour déceler leur idéologie.
Pour l’instant, le peuple est la seule force capable de s’organiser sur une base populaire pour dégager les autocrates actuels, mais faut-il encore qu’on les laisse faire. Il y’a deux niveaux différents de ce retour de religiosité, le premier est politique et concerne une élite fondamentaliste. Le second niveau est inhérent au peuple, qui ayant perdu confiance dans le projet du panarabisme qui ne marche pas et les élite politiques laïques toutes corrompues, revient vers la religion pour ce protéger. C’est là où réside la force des mouvements islamistes qui retournent le désarroi des populations à leur avantage. Ils font du désespoir des gens une arme politique.
On assiste depuis quelques années à l’émergence d’une intelligentsia musulmane que vous incarnez bien, et qui se veut le porte drapeau d’un islam moderne. Se pourrait-il un jour qu’on voit ces intellectuels évoluer d’une lutte par la plume et la parole à un autre moyen d’expression, plus efficient peut être, la politique par exemple ?
Oui pourquoi pas ? Moi je trouve que c’est une perspective stimulante et nouvelle.
Mais il y a quand même des bémols à identifier.
Primo : Nous sommes bons en tant qu’observateurs, mais sommes nous bons en tant que leaders politiques ?
Secundo : Où est-ce que vous voulez que cette extrapolation sur la politique puisse se réaliser ?
Ici en Europe ou dans les pays Arabes ? Parce que si c’est en Europe, nous serons un parti d’opposition comme tant d’autres et notre efficience justement va en pâtir. A partir de là ne je vois pas l’intérêt. Je trouve que je suis plus efficace en écrivant des livres et en parlant à la télévision, parce que les gens savent que je suis crédible et qu’ils peuvent s’identifier à moi. Mais en tant que chef d’un parti politique je perdrais tout à fait cette particularité d’être représentatif d’un mouvement d’idées. Et si je devais le faire, moi à mes yeux, je ne peux le faire avec efficacité que sur place, c’est-à-dire en allant en Egypte, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, chacun dans son pays Or, c’est là où se situe le troisième bémol : les pouvoirs en place sont tellement forts dans ces pays qu’aucune résistance ne peut demeurer valable à long terme, car l’opposition est muselée.
Est-ce qu’on peut parler d’un lobby d’intellectuels musulmans ?
On se voit de temps en temps, mais jamais de manière solidaire. Je regrette qu’il n’ait pas d’entente entre tous ces intellectuels musulmans qui essayent de réussir individuellement. Je pense que cela est du à notre histoire morcelée. L’intellectuel tunisien ne veut pas sortir de son horizon tunisien ; l’intellectuel algérien n’arrive pas à dépasser son algérianité; l’intellectuel marocain croit qu’il est l’ennemi naturel des algériens… Tout cela est infantile et renvoie à notre histoire infantile. Quand un intellectuel n’est pas capable de se transcender, de dépasser son propre horizon, en quoi est-il intellectuel ? J’espère qu’il yaura dans dix, vingt ans une autre génération d’intellectuels plus solidaires, et qu’ils travailleront en concert
Parler d’un islam moderne induit forcement une révision, une réforme de l’islam en vigueur aujourd’hui, concrètement comment cela peut-il s’opérer ?
J’ai lancé une idée depuis deux ans, mais je n’arriverai pas à mes fins c’est sur, car c’est toujours compliqué quand on touche à la politique. Mon idée est de créer une fondation pour l’islam des lumières. Elle a comme objectif : redorer le blason de l’islam. Notre première action décidée en concert était constituée de trois point :
1-Faire une déclaration de principe pour dire que l’islam n’est pas responsable ni de l’image, ni de l’usage politique détournées qu’on lui incombe.
2- Insuffler l’idée d’une réouverture de l’interprétation immédiate des textes, en passant par le truchement des autorités religieuses les plus reconnues dans le monde musulman.
3-Axer notre activité sur le savoir, le dialogue et le travail intellectuel.
Cette idée a eu des échos chez les plus hautes autorités françaises, mais quand on a su que je suis un homme indépendant et que j’allais faire un travail de déconstruction de l’image de l’islam en France, il on compris que ce n’était pas rentable politiquement.
J’ai compris donc qu’il existe en France des officines qui travaillent nuit et jours et pendant toute l’année à démolir l’image de l’islam, et que je gênais, si d’aventure un jour j’arriverais à mettre sur pied ma fondation d’un islam des lumières. Quand on ne veut pas changer l’image de l’islam et qu’on s’arrête seulement aux épiphénomènes, ça veut dire qu’on ne veut pas toucher à l’essentiel. Cela veut dire juste colmater les brèches, mais pas reconstruire.
Interviewé réalisée par Fayçal Anseur