« Ne vous exposez pas de votre propre initiative au danger mortel. » : Coran 2/195
Après la catastrophe de Mina qui a fait 718 morts et plus de 800 blessés, nos pensées doivent aller aux familles, aux proches et aux amis des victimes. Nos prières s’adressent à Dieu pour implorer sa miséricorde pour ces hommes et ces femmes morts en fidélité avec leur foi et avec leur sens du devoir religieux. Nos vœux de rapide guérison vont aux centaines de blessés, naturellement.
Lorsqu’ils ont quitté leur pays et leur famille pour accomplir le hadj, les candidats au pèlerinage ont versé des larmes d’émotion en attendant celles du bonheur le jour du retour. Quand arrivera ce jour-là, ils se laisseront étreindre par leurs proches venus nombreux glaner quelques traces de baraka et fêter celui ou celle qui est revenu lavé d’anciens péchés. Ils sont partis la tête dans les nuages et comptant jour après jour le temps qui les sépare encore du pays dans lequel ils reviendront auréolés d’un titre attendu toute une vie, la tête éblouie d’images et les bras chargés de cadeaux ramenés des lieux saints.
Cette année, nombre d’entre eux ne reviendront pas. Il n’y aura personne pour les attendre. Dieu l’a voulu ainsi. Mais de grâce n’allons pas croire ces ignorants autour de nous, qui pour se rassurer et rassurer les autres, nous serinent avec la mort en « martyrs » de ces pèlerins choisis par Dieu pour mourir ce jour-là, sous le poids d’une grue posée par l’homme ou mourir étouffés et piétinés par les hommes. Pour eux en quelque sorte, peu importe de savoir comment mourir, pourvu que ce soit en « martyr ».
Ces morts sont des victimes. Ils n’ont pas cherché à mourir en martyrs. Ils sont venus à La Mecque et à Médine pour visiter et non pour y rester, pour être heureux et repartir heureux. Si le « mektoub » en a décidé autrement, on ne peut nier que des irresponsables lui aient fait la courte échelle et donné un sacré coup de main. La grue mal consolidée et la terrible bousculade portent la trace de la main de l’homme. Le mektoub a encore une fois bon dos.
Le pays d’accueil est responsable du déroulement du pèlerinage dans les meilleures conditions de sécurité. On connaît les complications liées aux problèmes de langues qui rendent encore plus difficile la circulation et la coexistence de plus de deux millions d’hommes et de femmes. On est donc en droit d’imaginer que le pays d’accueil qui tire largement profit de la rente des lieux saints dispose des moyens nécessaires pour s’entourer des plus grands spécialistes afin d’éviter que ce type de catastrophe déjà vécue par le passé ne se reproduise.
On peut croire au destin sans être anesthésié par la fatalité. Le Coran sourate 2/ verset 195 nous met en garde contre la prise de risques inutiles: « Ne vous exposez-pas de votre propre initiative au danger mortel ».
Cela signifie qu’il ne faut pas prendre de risques inconsidérés et que Dieu refuse qu’on sacrifie sa vie pour l’adorer. Il y a dans ce drame deux niveaux de responsabilité :
Le premier est celui de l’Etat Saoudien qui sera toujours tenu pour responsable de tous les événements relatifs au déroulement du rituel, en tant que pays hôte et organisateur exclusif.
Le second est celui des pays qui envoient leurs ressortissants au pèlerinage et qui n’ont pas assuré, à l’image de La Malaisie par exemple, la formation des candidats au voyage, à tous les sens du terme. L’encadrement et la discipline sont essentiels pour garantir la sécurité dans des rassemblements humains aussi importants. Autrefois on payait un guide ( moutawwif ) pour diriger un groupe de pèlerins pendant la durée du rituel. Aujourd’hui on paie ( cher ) un guide saoudien, mais un guide invisible, que les plus avertis des pèlerins découvrent en la personne d’un saoudien devisant avec ses collègues allongés sur des tapis, sous l’œil non averti d’une clientèle livrée à elle-même. Un véritable racket. Mais ce racket là, …yajouz.
En vérité tout un monde protéiforme vit de la rente de la visite des lieux saints et la mécanique est tellement bien huilée qu’on arrive à faire croire aux familles qu’elles devraient se réjouir du deuil qui les atteint et qu’elles devraient rendre grâce à Dieu de recevoir au paradis leurs chers disparus.
L’enfumage est tellement efficace qu’on arrive à nous faire croire que le musulman qui a péché à tour de bras toute sa vie peut aller directement au paradis s’il a la chance de se retrouver ce jour-là à proximité d’une grue, ou sur le parcours improvisé de milliers d’hommes allant en sens opposé à la rencontre brutale d’autres milliers d’hommes et en l’absence de guides et d’organisation rationnelle de prévention et de sécurité. Les familles des morts sont doublement pénalisées.
Non seulement elles ont perdu un être cher, mais en plus elles sont victimes de charlatans qui leur ont fait croire qu’il suffit de mourir à La Mecque pour gagner le paradis. Une espèce de dévaluation de la vie par la glorification de la mort que ne renieraient pas les prêcheurs de la mouvance extrémiste chez les musulmans.
Aziz Benyahia