La question est posée par la photo postée par un couple en Egypte. On y voit deux jeunes s’embrasser en pleine rue.
La photo est d’ores et déjà entrée dans l’Histoire, avec un grand « H ». Elle a été postée sur Facebook le 23 mai dernier par Ahmed Elgohary. On y voit deux jeunes Égyptiens s’embrassant dans les rues du Caire.
Ce qu’il faut savoir, c’est que la loi égyptienne condamne l’affichage d’affection en public, au même titre que la consommation d’alcool. L’un et l’autre des comportements expose à une arrestation pour indécence publique. En Egypte, comme dans beaucoup d’autres pays dominés par les musulmans, le système judiciaire reste basé sur les principes de l’Islam.
En quatre mois, le cliché d’Ahmed Elgohary a déchaîné les passions. Entre soutien inconditionnel à l’activiste de 38 ans et condamnation virulente. Les plus orthodoxes des musulmans ont réclamé la suppression de la photo. Des amis d’Ahmed Elgohary ont menacé de le retirer de leur liste de contact s’il refusait d’effacer son post. D’autres commentaires évoquent un « coup de génie » du photographe et louent le sens révolutionnaire de la photo.
En est témoin la page Facebook créée au mois d’août alors que l’Egypte est au bord du chaos avec des centaines de morts en marge d’une manifestation. Titre de la page : « The Egyptian Kissing Day. » Ses créateurs invitent la population à faire triompher l’amour et la paix en s’insipirant de paroles de John Lennon:
Nous vivons dans un monde où nous devons nous cacher pour faire l’amour. Alors que la violence est pratiquée en plein jour.
Quant à Ahmed Elgohary, il est revenu sur la polémique déclénchée par sa publication dans un entretien avec l’agence italienne ANSA. L’homme travaille pour une ONG. Il n’est pas l’auteur de la photo – le photographe demeure à ce jour inconnu -, mais il l’avait transmis à un ami non-égyptien pour étayer l’une de ses démonstrations sur les droits sociaux dans le pays.
Face à cette photo, même mes amis ont mis de côté tous les problèmes de l’Egypte pour se focaliser sur ce qui n’est qu’un baiser. Les commentaires relèvent de la violation des droits individuelles, ce que leurs auteurs refusent de comprendre. Même si la fille porte le voile, elle a le droit d’exprimer ses sentiments de la façon dont elle le souhaite.
Ahmed Elgohary va plus loin en évoquant les commentaires injurieux postés sur sa page :
Ma propre liberté d’expression, celle de diffuser une photo que j’adore, est violée par les nombreuses insultes et critiques que j’ai reçues. Malheureusement, la révolution n’a pas changé les mentalités, même au sein des classes les mieux éduquées : s’embrasser dans une rue déclenche une levée de boucliers, mais si un jeune mourrait dans la même rue, personne ne réagirait.
Ahmed Elgohary met dans le même sac les islamistes et le gouvernement « laïc » qui leur a succédé. Et affiche ses craintes pour l’avenir de l’Egypte :
Je suis pessimiste. Tant sur l’évolution des droits de l’homme que sur la sortie de crise. Le pays est en train de sombrer un peu plus chaque jour. L’Egypte connaît une défaite à grande échelle et on ne sait pas comment on va s’en sortir.
En-dessous de sa photo, Ahmed Elgohary a partagé les paroles d’une chanson de Youssra El Hawary, une chanteuse et accordéoniste égyptienne. Son message ?
Certaines personnes se maudissent, s’entretuent dans la rue,
Certaines personnes dorment à même le sol dans la rue,
Certaines personnes vendent jusqu’à leur honneur dans la rue,
Mais ce serait vraiment un scandale si un jour, dans un moment d’égarement, nous nous nous embrassions dans la rue.
Ses paroles trouveraient sans doute écho à Alger, où les « cadenas d’amour » accrochés à Télemly ont été sectionnés, accusés par certains extrémistes de répandre un modèle de vie trop éloigné du nôtre.