Vous, les musulmans, êtes priés d’aller prier ailleurs

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Depuis le 16 septembre, il est interdit de s’agenouiller dans la rue sur un tapis. Les musulmans en mal d’un lieu de culte vont désormais s’entasser dans une ancienne caserne proche du périphérique. Un reportage du magazine allemand Der Spiegel.

C’est un quartier parisien qu’Emile Zola a dépeint avec un réalisme brutal dans son roman L’Assommoir : la Goutte d’Or, au pied de Montmartre, est aux yeux de l’écrivain un espace social clos qui ne laisse à Gervaise, blanchisseuse au bon cœur, aucune échappatoire à la misère, à la violence et à l’alcool. Plus de 130 ans après le livre-choc de Zola, la Goutte d’Or continue de former un monde à part.

Autrefois, des ouvriers de province venaient s’y installer, aujourd’hui, ce sont des immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique noire et d’Asie qui dominent les petites rues du quartier. La Goutte d’Or est classée « zone urbaine sensible », avec une proportion d’étrangers avoisinant les 30%. Le chômage y est endémique, et les ravages occasionnés autrefois par l’alcool le sont aujourd’hui par le crack, la prostitution et les vols sur la voie publique.

La Goutte d’Or, autrefois chantée dans une célèbre chanson d’un contemporain de Zola, Aristide Bruant, est un quartier pauvre, mais pittoresque. Exotique, mais sans merci. Multiculturel, mais profondément religieux. A Paris, la concentration de musulmans pratiquants n’y est nulle part aussi élevée.

Parmi les boucheries halal et les vendeurs d’épices, les restaurants africains et les cafés orientaux, les boutiques de téléphonie mobile et de tissus colorés, les dealers et les vendeurs de rue, se perdent deux mosquées, modestes, discrètes, deux îlots de calme dans le brouhaha environnant, qui, d’après ce que sait la police bien visible ici, n’ont absolument rien à voir avec le djihad.

Mais chaque vendredi à l’heure de la prière de midi, les petites rues qui font face aux mosquées Khaled ibn Al-Walid et Al-Fath se transforment en une sorte d’arène islamique. Des centaines, souvent des milliers de fidèles qui ne trouvent pas de place dans les espaces de culte bondés font leur prière dehors, dans la rue, sur des tapis qu’ils ont apportés, un anorak ou un simple sac plastique.

« Que pouvons nous faire ? », demande Moustapha Hamdaoui, de la mosquée Al-Fath, où prient les musulmans africains. « Nous avons 2 500 à 3 000 fidèles ici, les gens ne s’agenouillent pas sous la pluie ou en plein soleil juste pour le plaisir. » Involontairement, ce rassemblement rituel de croyants s’est transformé en manifestation religieuse. Ou peut-être en manifestation de l’islam invasif ?

C’est ainsi que l’entendent les personnalités politiques qui vont à la chasse aux bulletins de vote avec de tels reproches : Marine Le Pen, cheffe du Front national, estime qu’une nouvelle Résistance* contre l’envahisseur étranger est nécessaire et réclame la fin de l' »Occupation ». Nicolas Sarkozy, dans un souci constant de ne jamais se laisser égaler par personne dans son rôle de Flic suprême* – il vient de promettre la création de 30 000 nouvelles places en prison – souhaite, s’il vous plaît, un islam discret, humble.

L’homme à tout faire du président, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, un bureaucrate de l’appareil policier, a annoncé la nouvelle : prier dans la rue est interdit depuis la mi-septembre. C’est indigne, inacceptable, une entorse ouverte au principe de la laïcité, a déclaré le ministre. Et il a promis un contrôle sans faille : « Si d’aventure il y a des récalcitrants, nous y mettrons fin. »

C’est avec la même dureté qu’il avait peu avant chassé les mendiants de la vitrine touristique de la capitale, les Champs-Elysées. Des groupes de Roumanie s’étaient montrés particulièrement agressifs, et le nombre de délits avait pratiquement doublé par rapport à l’année précédente. Dernière spécialité en date des voleurs : faire disparaître en un clin d’œil les pourboires et les téléphones portables qui traînent sur les tables des terrasses de cafés.

Tout comme les clochards qui s’en vont à présent dans d’autres quartiers de la ville, les croyants quittent la Goutte d’Or, en grommelant, mais docilement, dans une longue file humaine qui rejoint le boulevard Ney, à la limite de Paris, où une ancienne caserne de pompiers a été reconvertie en mosquée de fortune.

Quatre mille musulmans se sont retrouvés au nouveau lieu de culte, 3 000 ont pu trouver une place à l’intérieur, dans trois grandes salles, mais les autres ont dû, comme d’habitude, aller prier dehors, cette fois-ci, sur le parking du gigantesque terrain fermé de la caserne. Les avis sont partagés. « OK, on ne nous voit plus, mais nous sommes parqués comme des moutons dans leur enclos », dénonce un des fidèles contraints de rester dehors. Le cheikh Mohammed Salah Hamza, lui, est soulagé, un peu fier même, de se trouver devant la plus grande mosquée de Paris : « J’ai très bien négocié », se rengorge-t-il.

Il explique que l’Etat exigeait un loyer annuel de 50 000 euros et qu’il est parvenu à le faire baisser à 30 000 euros. « Il manque encore une dimension sacrée », concède l’imam. C’est peut-être pour cela que pour son premier prêche ici, il a choisi un sujet étrangement profane, à la fois adapté et incongru : « Stress et dépression ».

Courrier International
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