Le mois sacré est sur le point de s’achever. Aujourd’hui ? Demain ? On ne sait pas encore. Un jour de jeûne, puis deux, puis trois… puis nous voici à la fin. Je ne pensais pas que cela passerait si vite. Par moment ce fut très difficile, je ne serai pas parvenu à tenir sans le soutien et l’accueil de ma « famille » algéroise. Pendant ces 28 derniers jours, une question est revenue souvent : « mais pourquoi ? Pourquoi le fais-tu ? » « à quoi te sers, à toi chrétienne, d’observer l’un des principaux piliers de l’Islam ? » Si je devais choisir 3 bonnes raisons qui m’ont poussé à faire le Ramadhan, ce seraient celles-ci…
Par gourmandise ?… Cela pourrait être la raison la plus légère. La meilleure façon d’apprécier les dates, le leben, la chorba et les bourek à l’heure du « ftour » c’est d’avoir jeûné. Après une longue journée de privation, les aliments ont une saveur particulière. Rien que la date, qui pour moi, était un fruit sec très sucré et un peu écoeurant, est devenu mon aliment préféré du « ftour ». Elle restera attachée au mois sacré à tout jamais.
En creusant un peu, je dirais : pour le rythme ! Pour vivre au diapason de la majorité des Algériens. La journée, le jeûne oblige à ralentir. Chaque effort est une souffrance plus importante que d’habitude. Dans les escaliers d’Alger, on marche lentement et on longe les murs pour éviter le soleil. La fraîcheur apportée par l’ombre des grandes façades blanches est une maigre consolation de la soif. La nuit, au contraire, la ville bouillonne. Les rues se remplissent d’enfants, de femmes et d’hommes toutes générations confondues. On mange et on boit jusque tard dans la nuit. Cette semaine, la dernière de ce long mois sacré, la fatigue se lit sur de nombreux visages et sur le mien y compris. Comment aurais-je pu m’en apercevoir si je ne le vivais pas moi même ? Goûter au Kheimates des hauteurs d’Alger, aux soirées Chaâbi de la Casbah, au domino place Audin, au shopping au bazar du 1er mai ou à Bab Ezzouar et finir la nuit par un Kalbelouze et un thé. Comment aurais-je pu participer à la folie des nuits ramadanesques sans avoir vécu les longues journées de jeûne ?
Vivre un moment de communion avec mes frères musulmans est une raison qui vient bien au delà des deux précédentes, c’est celle qui a le plus de sens. Le jeûne fait partie de la religion chrétienne mais il a presque disparu des traditions religieuses. Pourtant, la privation de nourriture est une démarche spirituelle qui offre à chacun la possibilité de se poser et de prendre un moment pour Dieu. Chaque nuit, lorsque les prières des « Tarawih » résonnent dans les rues d’Alger, l’atmosphère de ferveur spirituelle qui s’installe a un goût d’absolu. Enfin, jeûner pendant tout le mois sacré, c’est exercer ma liberté de conscience. De même qu’une étrangère non musulmane peut choisir de faire le Ramadhan, un algérien peut choisir de ne pas jeûner, non ? Les non-jeûneurs de Tizi -Ouzou ont fait ce choix, doivent-ils se cacher et mentir pour cela ? Le tapage et les cris d’effroi autour de cet événement m’ont beaucoup surpris, je reste étonnée de voir à quel point la tradition sociale peut dépasser la conscience religieuse de chacun. Pourtant, Dieu seul peut juger. On jeûne devant Lui avant de jeûner devant les hommes.
3 H 30 du matin, ma chronique s’achève ici, on m’attend pour le « sohor », le dernier ? L’avant dernier ? Qui sait ? Je cours chercher une bouteille d’eau au frigo, il va faire chaud et soif aujourd’hui.
Camille J.