Les Saoudiens refusent de communiquer sur le montant global des retombées annuelles générées par l’accomplissement du hadj et de la omra. C’est à peine s’ils déclarent en moyenne entre 6 et 8 milliards de dollars de bénéfices uniquement pour le hadj. Des spécialistes ont avancé, pour la visite des lieux saints, le chiffre raisonnable et approximatif de 25 milliards $ en retombées directes, c’est–à-dire sans tenir compte des incidences sur l’emploi et sur l’activité économique globale. Autant dire une manne que Ryadh n’est pas près de partager quelles que pourraient être les raisons.
Si la majorité des fidèles ne leur contestent pas la « gestion » exclusive d’une des cinq obligations canoniques de l’islam à savoir le hadj, ils leur reprochent de ne pas utiliser cet argent pour d’une part – lutter contre la misère et la pauvreté par la mise en place de structures pérennes et pour d’autre part – restaurer l’image de l’islam et de la Oumma qui ne cessent de ternir depuis trop longtemps.
En abordant ces deux questions, nous ouvrons un débat très délicat qui met à nu la vraie nature du régime saoudien, en ce sens que l’aide distribuée aux pays pauvres et aux pays musulmans est pensée comme un acte de charité et non pas de partage et de solidarité, et que les efforts en direction de l’image de l’islam se traduisent chez eux par la construction de mosquées, la distribution du Coran et le versement de salaires et d’aides de toutes sortes aux prédicateurs, aux imams et à tous les affidés du régime. Et quand on sait que leur vision de l’islam rétrograde et conservatrice a servi de référent à la création du royaume au milieu du XVIIIème siècle par une association entre un chef tribal local (Mohamed Ibn Saoud) et un fondamentaliste religieux (Mohammed Ibn Abdelwahhab), on comprend mieux la fracture actuelle du monde musulman. Mais il faut bien reconnaître qu’ils ont une vision cohérente de leurs choix dogmatique et idéologique et qu’ils sont suffisamment altruistes pour réfléchir à la place des pays du Golfe. Ils sont salafistes et fondamentalistes et leur doctrine est le wahhabisme, du nom de leur idéologue, le même Abdelwahhab, membre fondateur du royaume.
L’Arabie Saoudite, dans sa configuration actuelle a été fondée en 1932. Après les découvertes des immenses gisements pétroliers, le pays devient une puissance économique et pour mieux protéger ses richesses, le Roi s’engage dans une alliance stratégique avec les Etats-Unis. C’est le fameux Pacte du Quincy qui engage les Américains à protéger militairement la dynastie des Saoud en échange d’un accès aux gisements pétroliers.
Cette protection militaire sert en premier lieu à dissuader le voisin iranien, frère ennemi depuis toujours, de mettre son nez dans les affaires de la Péninsule. L’explication par l’antagonisme Sunnites-Chiites, vaut ce qu’elle vaut. Pour ce qui concerne notre propos, à savoir la problématique de la gestion des lieux saints de l’islam, nous sommes bien obligés d’admettre que nous avons affaire, aujourd’hui, à deux états islamistes dont on ne peut rien attendre de révolutionnaire en matière de réformes et d’évolution démocratique.
La République islamique d’Iran, en prenant la tête du mouvement qui conteste la gestion des lieux saints par l’Arabie Saoudite et qui propose une gestion internationale, ne doit pas trop faire illusion. Cette idée est devenue une polémique entre les deux puissances régionales. Elle n’a rien de religieux et ne répond pas à des soucis de transparence ou de justice. C’est tout simplement une lutte pour le contrôle du leadership de la mouvance islamiste internationale et pour s’attirer la sympathie des pays qui détestent le régime saoudien pour des raisons diverses. L’internationalisation du statut des lieux saints de l’islam refait régulièrement surface. Si elle relève d’un souci tout à fait recevable de rationaliser la gestion d’un patrimoine commun aux musulmans et à l’humanité, elle n’en obéit pas moins aux contraintes de la realpolitik et à la loi du rapport de forces.
Les arguments qui militent en faveur d’une gestion collégiale peuvent être séduisants dès lors qu’ils sont le produit d’une réflexion rationaliste. Et c’est bien souvent le cas, il faut bien le dire, eu égard au véritable mouvement de fond qui se manifeste dans la grande majorité des pays musulmans.
Une direction collégiale configurerait la plus belle illustration de la gestion de la cité et du patrimoine de l’islam telle que l’a souhaitée Le Prophète (Asws). Toutes les cultures, les langues et les ethnies y seraient représentées. Toutes les sensibilités. Des aménagements seraient adoptés pour faciliter l’accès aux lieux saints aux moins fortunés des musulmans et on veillera à éviter toute tentative de discrimination. Les retombées financières seraient utilisées pour favoriser l’accès au savoir, à la santé et à la prospérité. L’énumération des avantages d’une telle réforme serait longue. On a même entendu parfois des références au Vatican pour trouver des raisons logiques à cette réforme. Le modèle n’est pas facile à transposer pour la simple raison que l’Arabie Saoudite n’est pas une démocratie, que l’islam sunnite n’a pas de clergé et qu’il n’est pas placé sous l’autorité d’un homme ou d’un collège de sages.
Ne demandez pas aux Saoudiens de se tirer une balle dans le pied
Reste que l’idée est séduisante, qu’elle répond à un véritable souci de justice et qu’elle procède d’une démarche rationnelle. Mais elle ne peut être retenue par les Autorités saoudiennes parce qu’elle aboutirait à tarir une source d’enrichissement considérable, et qu’elle les obligerait à faire appel à la raison. Or en Arabie saoudite, on n’étudie ni Averroes ( Ibn Rochd ), ni Platon, ni Aristote, ni les rationalistes. On étudie Mohammed Abdelwahhab et Abdelwahhab Mohammed.
A bien réfléchir, La Mecque et Médine, sont des gisements beaucoup plus précieux et beaucoup plus durables que les réserves de gaz et de pétrole. Quelle que soit sa fortune, le musulman aspirera toujours à accomplir le pèlerinage et à multiplier les Omras. Beaucoup y vont aujourd’hui en se pinçant le nez et en faisant abstraction de beaucoup de choses, pour se concentrer uniquement sur le rituel. Les Autorités locales le savent bien qui se sont dotées de tous les moyens de contrôle et de prévention pour parer à toute velléité de changement fut-elle pacifique.
Les lieux saints de l’islam sont la chasse gardée de la famille royale et Charbonnier est maître chez soi. Soit ! Mais il n’est pas interdit de réfléchir, de faire appel à la raison et de croire au progrès.
Le Roi d’Arabie Saoudite se définit d’abord comme « serviteur des deux lieux saints de l’Islam». Les bons musulmans parmi nous devraient s’unir dans la prière pour implorer Dieu de lui montrer le meilleur chemin pour gagner Sa miséricorde. Cela commence par se mettre au service des plus humbles des créatures de Dieu en toute humilité, et de renoncer à la richesse qui fait la fortune du diable.
« Dis : Ô mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez point de la miséricorde divine.» Coran 37/53
Aziz Benyahia