Deux Algériens sur trois, qui commentent un suicide, en Algérie parce qu’ils n’ont pas accès à un logement, selon la Ligue algérienne des Droits de l’Homme (LADDH).
La scène est devenue une malheureuse rengaine en Algérie. Jeudi, après avoir bu un café noir dans une station d’essence, comme si de rien était, un inconnu d’une trentaine d’années s’est aspergé d’essence et a allumé un briquet au niveau du pôle universitaire de Ouled Fares, à Chlef, racontent des témoins oculaires. Des dizaines de personnes sont venues à son secours. Trop tard, l’homme a succombé à ses blessures à l’hôpital Ouled Mohamed ce matin, signale le bureau de Chlef de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme (LADDH). On ignore encore l’identité de la victime et les raisons qui l’ont poussé à commettre l’irréparable.
Mais il est fort probable que cette nouvelle immolation par le feu soit liée l’un des fléaux de la société algérienne : chômage, précarité, injustice, bureaucratie, crise du logement.
Au moins 26 suicides à Chlef en 2013
Ce dernier est d’ailleurs reconnu par les spécialistes comme la principale cause du phénomène du suicide en Algérie, indique dans un communiqué publié ce vendredi le bureau de Chlef de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme (LADDH). « D’après des statistiques, la crise du logement et le chômage poussent deux suicidaires sur trois à passer à l’acte. En outre, les différents problèmes sociaux, entre autres, l’injustice, la marginalisation, la hogra, la pauvreté, la bureaucratie, l’absence de dialogue et l’interdiction de manifestation pacifique, poussent à l’acte extrême », peut-on lire dans ce communiqué.
En début de semaine, Chlef a été le théâtre d’un autre drame humain. Un père de famille d’une quarantaine d’années, désespéré de ne pas voir sa demande de logement aboutir, a tenté de mettre un terme à ses jours par immolation à l’intérieur de la direction de l’action sociale de la wilaya. Parqué dans un taudis avec sa famille, ce père de famille avait perdu tout espoir d’obtenir un jour les clefs d’un logement digne de ce nom. Il s’est alors dirigé vers le siège de la wilaya de Chlef, un bidon d’essence dissimulé sous son pull et a menacé de se brûler. Les agents de la wilaya sont parvenus à le raisonner avant que les services de la Protection civile n’interviennent.
Dans ce contexte, la LAADH tire la sonnette d’alarme et met en garde les autorités algériennes contre la généralisation du phénomène des immolations par le feu en Algérie. Souvenez-vous, de cette étincelle suicidaire avait commencé la révolution tunisienne, qui a chassé du pouvoir le dictateur Ben Ali. Si toute l’Algérie est touchée, le « phénomène social prend des proportions inquiétantes » à Chlef, relève la Ligue dans son communiqué. D’après la Ligue, depuis le 29 octobre 2009, une dizaine de personnes ont tenté de mettre fin à leurs jours par immolation par le feu. Bilan : 5 morts. De façon générale, l’acte du suicide a pris une « dimension alarmante » dans la région de Chlef, s’inquiète la LADDH. Selon la Protection civile de Chlef, en 2013, 26 habitant ont essayé, par différents moyens, de mettre fin à leur vie. Comme cette policière de 31 ans, qui a tenté de se tuer en se tirant sur la poitrine avec sa propre arme de fonction le 23 décembre dernier.
Un tabou social
Mais pour la Ligue, le chiffre avancé par la Protection civile est tronqué car de nombre suicides sont maquillés en accident par les familles des victimes, pour éviter la honte et l’humiliation. Le suicide reste effectivement un tabou lourd dans une société musulmane comme la société algérienne. « Bien entendu, il est des cas de suicide qui ne sont ni déclarés et médiatisés. Sinon le bilan aurait été plus lourd », considère ainsi la LADDH.
Toujours est-il que le nombre de tentatives de suicide enfle. Inquiète, la Ligue avertit : « Ces derniers épisodes du feuilleton d’immolation ne sont que « la goutte qui a fait déborder le vase ».
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