Moi, Africain, mais non jamais ! Un Algérien ne peut aucunement être un Africain ? L’Africain, c’est le noir, le miséreux, le pauvre et l’affamé. L’Algérien est encore trop élégant pour accepter cette africanité que la géographie et l’histoire lui ont imposée. L’Algérien se sent donc plus proche du Français, de l’Italien, de l’Espagnol, de l’Américain, du Canadien ou même du Danois que de son frère africain à qu’il ne reconnaît presque aucune légitimité.
Non, l’Africain, ce n’est pas un ami en Algérie. Il n’est, d’ailleurs, rarement le bienvenu. « Les noirs, nous n’en avons nullement besoin. Qu’ils repartent chez eux ! », combien de fois n’avons-nous pas entendu cette phrase résonner dans nos oreilles ? Combien de fois n’avons pas lu des phrases qui dégagent des effluves racistes pestilentielles dans les colonnes de notre presse nationale ? Une presse qui se réjouit lorsque nos vaillants services de sécurité arrêtent des « migrants africains », comme quoi nous les Algériens nous ne vivons pas en Afrique, pour les reconduire à nos frontières. « Le péril noir », cette soupe on la sert au déjeuner et au dîner à nos enfants qui ont, désormais, peur de la différence. Le sida, ce sont ces migrants malheureux qui l’ont importé en Algérie, a-t-on même lu dans les articles fantaisistes et haineux à souhait d’Ennahar et compagnie. Tout est donc de la faute de ces noirs qui viennent dans notre pays à la recherche du gîte et du couvert. Une quête qui vire au cauchemar comme c’était le cas pour ces deux Maliennes violées collectivement dans un bidonville malfamé. Les pauvres victimes n’ont même pas eu le droit de déposer plainte car la Gendarmerie Nationale a estimé qu’en tant que femmes noires, et donc « diablesses » par définition, elles avaient certainement excité leurs bourreaux !
De telles tragédies ne font certes pas légion. Mais les agressions, les lots, les moqueries, les insultes, les provocations de bas étage forment le lot quotidien de nos amis subsahariens qui s’aventurent dans notre pays croyant qu’ils y trouveraient un accueil chaleureux de la part de leurs confrères africains. Justement, à leur grande surprise, ils découvrent un pays qui renie cette africanité comme s’il s’agissait d’un vice ou d’un virus dangereux. L’africanité, on la chasse comme un mendiant malpropre qui nous rappelle trop la misère de notre âme. L’africanité, elle évoque trop nos turpitudes, nous les Algériens qui avons toujours rêver de rejoindre le train de ce Nord qui passe sans observer la moindre halte aux niveaux de nos gares. Le Nord, l’Europe, l’Amérique et cet Occident sur lequel on fantasme jour et nuit jusqu’à renier nos plus profondes racines. Notre conscience longtemps façonnée par cette dépendance culturelle vis-à-vis de la France coloniale n’arrive plus à concevoir que nous faisons réellement partie de cette partie du monde qu’on appelle l’Afrique. Non, nous Algériens, les anciens colonisés qui ont porté le flambeau de la Révolution, l’égalité, la justice, le respect, nous les réclamons uniquement lorsqu’il s’agit de nos migrants en souffrance en Europe. Mais quand ces voisins subsahariens nous demandent une main accueillante, nous nous transformons rapidement en racistes invétérés capables de produire les discours fascistes les plus ignobles. Oui, victimes ailleurs, mais coupables ici dans notre pays où la couleur de la peau demeure le baromètre de l’accessibilité sociale et où le combat pour la dignité est, lui aussi, à géométrie variable…