Les résultats du baccalauréat 2014 ont été publiés hier sur le site de l’ONEC. Pour ceux qui ont décroché le précieux diplôme, l’heure est à la joie. Mais le bac algérien a-t-il encore une valeur ? Permet-il aux jeunes d’affronter sereinement l’université ou le monde du travail ? Est-il compétitif au niveau international ? Les voix discordantes ne manquent pas pour souligner la dévalorisation continue du diplôme.
Un diplôme qui perd de sa valeur
Nombre de professionnels de l’enseignement sont formels : le bac algérien n’a plus autant de valeur que par le passé. Héritage de l’époque coloniale, le bac ne semble pas correspondre aux réalités de la société algérienne contemporaine.
« Pour juger de la valeur du bac, il faut faire une comparaison avec les années 60-70 », explique Meziane Meriane, porte-parole du SNAPEST (Syndicat national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique), joint par téléphone. « Dès lors, on constate une baisse flagrante du niveau de difficulté du bac et donc de sa valeur ».
Ce constat est partagé par les anciens élèves de l’école algérienne. Yasmine a décroché son bac en 2007. Sa sœur, elle, fait partie des recalés de cette année. Déçue pour sa sœur, Yasmine juge cependant que l’échec est justifié. « Le bac n’est plus aussi difficile que lorsque je l’ai passé. Aujourd’hui, seuls ceux qui ne travaillent pas n’ont pas leur bac. On leur donne tous les moyens pour réussir, notamment les cours particuliers et Internet. Mais certains ne veulent pas trop se fouler, comme ma sœur ».
Les raisons d’une dévalorisation
Les raisons de cette dévalorisation sont nombreuses. Yasmine, comparant son expérience personnelle avec celle de sa sœur, en identifie quatre : donner la possibilité aux élèves de choisir entre 2 sujets pour toutes les matières, mettre entre place des seuils pour faciliter le travail des élèves, surveiller de manière trop laxiste l’examen – « on ne pouvait pas autant tricher avant, maintenant les surveillants laissent faire » – et corriger trop gentiment les copies – « on dit aux correcteurs d’aider les élèves au maximum et d’être souple dans le barème ».
Le phénomène de triche est en effet une explication récurrente à la décrédibilisation du diplôme du bac. Plusieurs syndicats du secteur de l’enseignement ont dénoncé des fraudes massives perturbant le bon déroulement de l’examen. Meriane ne cache pas son inquiétude. « Certes il y a une baisse par rapport aux années précédentes, mais on voit apparaître des outils de triche de plus en plus sophistiqués ». Le syndicaliste donne un exemple digne d’un film de science-fiction : un dispositif Bluetooth dissimulé dans une boucle d’oreilles. « On dit depuis 2007 qu’il faut en finir avec la triche, prendre des mesures draconiennes pour l’éradiquer. Mais le problème est extrêmement complexe car il est sociétal : en Algérie, tout le monde veut réussir sans devoir fournir le moindre effort, tout le monde veut s’enrichir sans se fatiguer. Et c’est une attitude qui se répercute sur l’éducation », explique-t-il.
De manière plus générale, Meriane estime qu’il est très compliqué de cerner les causes de la dévalorisation du baccalauréat. « J’en donnerais quatre », nous a-t-il expliqué. « Tout d’abord, les élèves sont déconcentrés par les matières secondaires, qui sont trop nombreuses. Ils ne prennent pas le temps de travailler les matières essentielles. Or, ce n’est pas normal qu’un élève de la filière scientifique réussisse son bac grâce aux langues ou à l’éducation islamique ». Deuxième explication, « les changements incessants dans les programmes et les matières », qui ne permettent pas d’approfondir les sujets abordés en cours. « Troisièmement », ajoute Meriane, « et je pense que c’est là la cause la plus importante, la formation des enseignants n’est pas à la hauteur. Je pense qu’il faut peut-être revenir à l’ancien système des écoles normales et des instituts de formation. Le problème des enseignants actuels c’est qu’ils ne reçoivent pas de formation psycho-pédagogique ». Enfin, la dernière cause de cette dévalorisation du bac est un accent mis sur la quantité et non sur la qualité.
Baccalauréat, études supérieures et insertion professionnelle
Pire encore, le baccalauréat ne prépare plus du tout à l’insertion dans le monde du travail, et n’est même pas une garantie de réussite à l’université.
« Les bacheliers qui rentrent à l’université ont du mal à suivre un cursus universitaire », souligne Mériane. Ce phénomène de décrochage universitaire n’est malheureusement pas nouveau. Dans un article publié en juillet 2007, le quotidien algérien Le Temps donnait l’exemple de l’université de Béjaïa pour illustrer le fossé entre l’école et l’université. « À l’université de Béjaïa, pour ne citer que celle-ci, 60% des bachelier en sciences de gestion ont dû passer par les rattrapages pour pouvoir espérer un passage en 2e année ». Et le quotidien d’ajouter que les nouveaux bacheliers sont nombreux à trébucher dès leur première année à l’université.
La situation est encore pire lorsque l’on regarde le monde du travail. « Le bac ne prépare plus du tout à la vie professionnelle », affirme Meriane. « Il faut obligatoirement passer par une formation de l’enseignement supérieure ». En cause, la suppression du bac technique. « C’était une grave erreur », souligne Meriane, « car cela a brisé l’espoir qu’un élève puisse trouver du travail grâce à son diplôme du baccalauréat ».
Bac algérien et études supérieures à l’étranger
Le dernier problème que pose la dévalorisation du bac algérien est qu’elle empêche le système éducatif algérien d’être compétitif sur la scène internationale. « Il y a probablement un déficit par rapport à certains baccalauréats étrangers », reconnaît Meriane. « On a de très bons élèves algériens qui vont étudier à l’étranger et sont dans les meilleurs de ces universités. Mais je dirais que ces quelques excellents élèves sont l’arbre qui cache la forêt. L’école algérienne doit former un plus grand nombre d’élèves capables de suivre un cursus universitaire à l’étranger, et de réussir ».
Réformer le bac : une nécessité
Face à tous ces dysfonctionnements, Meriane insiste sur la nécessité de réformer le baccalauréat algérien. « On va parler de toutes ces questions lors des assises de l’éducation des 20 et 21 juillet prochains », assure-t-il. « Je pense que, pour rendre sa valeur au bac, il faut en priorité revaloriser les coefficients des matières essentielles à chaque filière ».
La nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghebrit, semble consciente de cette nécessité de réformer le diplôme. Elle souhaite mettre à profit les assises nationales de l’éducation pour « parachever le processus de concertations lancé l’année dernière autour de l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre de la réforme ». Elle a dernièrement affirmé au site TSA que « la valeur du baccalauréat algérien devra non seulement être préservé, mais bonifiée » et qu’il n’était « pas question que [le bac] devienne un acquis, car ce serait porter atteinte au fondement du système éducatif et à la préparation des générations futures ». En particulier, elle a promis de mettre fin au dispositif du seuil. « Il n’y aura pas de seuil l’année prochaine quel qu’en soit le prétexte », a-t-elle assuré.