Mardi, j’avais rendez vous avec une responsable d’une compagnie aérienne dans la journée. J’arrive à 14h30, je la trouve sur le départ. Elle est en train de quitter son bureau et m’invite à revenir le lendemain. Elle me raconte que dans son entreprise pendant le mois sacré, les femmes ont des horaires allégés « pour avoir le temps de préparer les plats pour la famille ». « Je passe tous mes après-midi en cuisine pendant le Ramadhan » m’explique t-elle. Les hommes, eux, terminent aux alentours de 17h.
Je n’aurais jamais pu imaginer une telle scène avant de venir dans un pays musulman. Le mois du jeûne est LE mois de la cuisine ! On y passe beaucoup de temps à table et on prend un long temps de préparation pour chaque repas. Sur les colonnes des journaux, on peut lire que les marchés de tous les quartiers d’Alger connaissent une affluence plus importante à cette période. Il paraît même que certains marchands en profiteraient pour augmenter leurs prix ! Un opportunisme économique qui me paraît très injuste en ce mois de partage et de solidarité.
Au bureau, nos horaires n’ont pas été aménagés comme ceux des salariés de cette compagnie aérienne. Le rythme a cependant sensiblement changé. Nous finissons à 17h au lieu de 19. C’est juste le temps qu’il nous faut pour rentrer, faire les courses et préparer le ftour.
Cela fait longtemps que je n’avais pas passé un aussi long moment en cuisine. La chorba prend jusqu’à deux heures de préparation. Maya, ma colocatrice, me montre patiemment tous les gestes. Une allumette coincée entre les dents, elle émince les oignions, « ma mère a toujours fait comme ça, les larmes viennent moins vite ». Pendant que la soupe mijote dans un grand fait-tout, nous attaquons les boureks. Doser la garniture reste le geste le plus difficile à acquérir. Les feuilles de bricks sont si fines et fragiles qu’il ne faut pas en mettre trop, sinon, ça craque, et tout le contenu se répand dans l’huile chaude.
Plus tard, à 20 min à peine de l’heure du Maghreb, je m’approche de la casserole de riz une cuillère à la main. « Que fais tu ? » me demande Maya. « Je goûte le riz pour savoir s’il est cuit ». Son sourire espiègle me rappelle ce qu’elle m’avait dit au début de notre séance de cuisine : « Quand on prépare, on ne goûte pas, on dose les aliments à vue ou alors on trempe les lèvres et on recrache ». Je repose la cuillère.
La préparation du repas semble rester une activité entièrement réservée aux femmes avec quelques exceptions. Hier, j’ai du prendre le taxi à une heure tardive de la journée, autour de 19h30, moment où on ne rencontre aucune femme dans les rues d’Alger centre. Je demande à Nourredine, le conducteur du taxi, si cela lui arrive de participer à la préparation de la rupture du jeûne. « Ma femme fait la chorba, les boulettes et les entrées. Quand je rentre, je m’occupe de garnir et de faire frire les boureks. » Sur la route, à la jonction des rues Victor Hugo et Hassiba, un homme, l’air pressé, les bras chargés de paquets monte à bord du taxi collectif « ce sont des dates, du pain et du kalbelouz pour le ftour. C’est moi qui doit les ramener chaque soir », nous explique-t-il.
Tout dépend du talent et de la passion culinaire de la personne qui prépare, le temps passé en cuisine est de deux à quatre heures chaque jour. On cuisine avec une petite faim au ventre. Car, attention, il n’est pas question de goûter ! Ramadhan oblige.
Camille J.