« L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs »  Par Aziz Benyahia

Redaction

Un pays où une librairie ferme pour laisser place à un kébab ou à une boutique de fringues est un pays qui régresse. Un écolier de dix ans qui doit apprendre par cœur la liste des documents à fournir pour établir une carte d’identité est un futur chômeur. Quand un micro-trottoir interroge une trentaine de nos députés sur le titre du dernier livre qu’ils viennent de lire et qu’il n’obtient aucune réponse, cela signifie que nos élus ne lisent pas, si tant est qu’ils lisent correctement une langue.

En résumé, ce n’est ni la faute du libraire, ni celle du marchand de kébab, ni celle de l’écolier, ni celle du député. Mais c’est bien la faute à tous ceux qui ont eu à exercer des responsabilités depuis l’indépendance et qui ont eu à décider pour nous du choix de notre destin. Cela va du Chef de l’Etat aux ministres de l’Education nationale et de la culture, en passant par les enseignants et les dirigeants politiques. La responsabilité des parents est toute relative, compte-tenu de leur faible niveau d’instruction dans l’ensemble.

Pour donner le goût de la lecture, il faut éveiller chez l’enfant dès le plus jeune âge, la curiosité et le plaisir de la découverte et surtout celui de l’émerveillement. Il ressentira le besoin prégnant d’apprendre parce qu’au bout du voyage, c’est mille et mille choses qu’il découvre et c’est mille et mille choses qu’il voudrait inventer lui aussi.

Mais au fait, est-ce qu’on sait que toutes ces aspirations sont dans notre ADN. Cette soif d’apprendre et cette curiosité chez l’homme, représente pour les musulmans une injonction coranique. La quête du savoir est une obligation avant d’être un besoin naturel ou un plaisir recherché. Le premier verset révélé fait de la lecture un devoir : « Iqra’ » (Lis !) dans la forme impérative. Du temps de la colonisation seuls quelques rares privilégiés avaient accès à l’école et seule l’école coranique était tolérée. Autant dire que les enfants ânonnaient l’arabe coranique sans comprendre un seul mot et le taleb (maître) ne pouvait leur être d’aucun secours. La curiosité intellectuelle ou la recherche du savoir relevaient de l’utopie, même si les plus chanceux d’entre eux apprendront que dans un célèbre hadith, le Prophète (Asws) avait recommandé de « chercher le savoir, fut-ce en Chine ». Aujourd’hui, devenus parents ou grands-parents, ils ont appris, que le Prophète(Asws) avait dit aussi : « L’encre des savants est plus sacrée que le sang des martyrs ». Quand on sait le poids du mot martyr dans la bouche du Prophète (Asws), on comprend que la puissance de cette parole nous dispense de toute explication et se passe de commentaires. Ceux qui nous ont gouvernés et ceux qui nous gouvernent sont tout simplement des criminels pour avoir laissé cette chape d’ignorance étouffer petit à petit un pays tout entier au point de le faire douter de ses capacités intellectuelles.

Soyons un peu courageux et n’ayons pas peur des mots

Dès l’indépendance, il y a 53 ans, nous avions un seul souci : sortir de la nuit coloniale, prendre l’école d’assaut, apprendre nuit et jour pour retrouver nos racines, rattraper le retard, former nos médecins, nos ingénieurs, nos enseignants, nos pilotes, faire mieux que les pieds-noirs, dépendre de moins en moins de l’Occident, arriver à l’autosuffisance alimentaire et surtout profiter de l’expérience coloniale, pour sauter les étapes et entrer de plain-pied dans la modernité. Le vide à combler et la revanche à prendre sur le destin pouvaient donner des miracles.

Pourquoi avons-nous fait tout le contraire ? Pourquoi un échec aussi lamentable ? La réponse est sévère et pénible à entendre : sauf durant une brève parenthèse, nos responsables n’ont eu de cesse de freiner toute évolution de notre jeunesse, de nos cadres et de nos enfants dans l’ensemble, pour éviter qu’ils leur fassent de l’ombre et qu’ils guignent leurs fauteuils. Pire encore, ils ont parfois tout fait pour les diaboliser, les accuser de trahison ou de cinquième colonne de l’ancienne puissance coloniale. La vérité est pénible à entendre mais c’est la seule explication qui vaille quand on voit que le pays est déserté par son élite, que nous sommes à la traîne des autres nations dans tous les domaines, que notre éducation est affligeante de médiocrité et que nous donnons quotidiennement le spectacle d’un pays à la dérive, coupé du monde pour un câble sectionné et dépendant plus que jamais de l’adversaire d’hier, pour dialoguer à nouveau avec le monde et importer l’huile d’olive de Provence, des manches à balai de Chine et des biscuits d’Arabie saoudite.

Voilà la réalité. Un pays sans éducation est un pays voué à la mort lente et à la disparition. Buvez messieurs votre honte jusqu’à l’ivresse, couvrez-vous la tête de cendre et retirez-vous dans votre Aventin avec la bénédiction et la mansuétude d’un peuple qui sait pardonner.

L’état des lieux est tellement déprimant que nous désespérons de nous en sortir un jour.  Cela est d’autant plus douloureux que nous avons encore de beaux atouts en main : des ressources naturelles en abondance, une jeunesse dynamique, la proximité de l’Europe et surtout une religion qui glorifie la science et le savoir à longueur de versets. Et curieusement ce sont ceux-là mêmes qui parlent le plus de l’islam, qui sont contre le savoir et le progrès, qui sont entièrement dépendants des inventions des kouffars (mécréants) et qui veulent nous ramener à l’âge de pierre. Ceux qui connaissent l’histoire de l’islam et du Monde arabe savent que ce ne sont pas les bédouins de la Péninsule arabique qui ont porté la civilisation arabo-musulmane à son apogée, mais bien des hommes et des femmes nés en Mésopotamie, en Syrie, en Egypte, en Inde, en Asie. Des musulmans qui ont toujours cohabité avec d’autres religions avec d’autres cultures et avec d’autres traditions. L’histoire a voulu que notre pays ne fût pas au rendez-vous d’alors, mais elle a compensé ce handicap par notre proximité avec l’Europe et par notre capacité à ne pas vendre notre âme et à ne pas céder au découragement. Nous tenons cela de nos ancêtres. Et sauf à les trahir, nous ne renierons jamais nos origines ni chercherons à nous inventer une histoire ni à singer servilement l’Occident.

Bien au contraire. Témoins de l’Andalousie, nous n’avons pas le droit de nous égarer dans les sables de l’Arabie ni mourir dans les banlieues de l’Europe. Nous connaissons nos faiblesses ; nos responsables nous font douter de nos forces. Nous connaissons nos atouts ; on nous ressasse nos handicaps. Nous voulons saisir notre chance ; on nous parle de mektoub.

 La France nous avait laissé le français et le cadastre. Nous parlons un mauvais français et nos rues ne portent plus de noms. Les Arabes nous ont laissé une civilisation brillante et une langue merveilleuse. Nous parlons un arabe boiteux, et nous prions faux. La faute est sans conteste à ceux qui nous gouvernent.

Mais répétons-le sans cesse, à nous et à nos enfants, qu’un pays qui a forcé l’admiration du monde ne se laissera pas berner par des aventuriers qui plus est, sont de pathétiques ignares qui ont fait leur temps et qui seront vite oubliés.

 

 

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