Pour la troisième fois en un mois, des militants ont accroché ce samedi des cadenas sur le pont de Télemly et de la colonne Voirol pour marquer leur espoir d’un avenir meilleur et leur rejet de l’intolérance notamment religieuse.
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » a écrit le poète Boileau. Un adage qui pourrait servir de leitmotiv aux militants de l’amour qui pour la troisième fois en un mois sont venus accrocher des cadenas sur des ponts d’Alger. A chaque fois, leurs cadenas ont été décrochés. A chaque fois, ils sont revenus. Cette fois-ci, l’opération a pris de l’ampleur : outre le pont de Télemly, le pont de la colonne Voirol à Hydra s’est vu aussi orner.
« Pour moi c’est un geste militant de résistance, après dix ans d’intégrisme faisant suite à la décennie noire », clame la doctoresse Amina Bouraoui, en référence à la guerre sanglante contre l’islamisme dans les années 90 qui a laissé la place à une présence salafiste.
Postée aux côtés d’une dizaine de jeunes Algériens sur un pont du quartier chic de la colonne Voirol, à Hydra, cette gynécologue obstétricienne de 36 ans s’insurge contre, selon elle, l’intégrisme rampant. « Il n’a à aucun moment été condamné ici mais les militants du cadenas de l’amour, eux, sont condamnés », dit-elle.
Les 7 et 14 septembre, des Algériens s’étaient d’abord rendus sur un pont du quartier de Telemly, dans le vieux centre d’Alger. Ils voulaient avec des centaines de cadenas d’amour à accrocher, inaugurer le « pont de l’amour d’Alger » et ainsi le débaptiser de son surnom de « pont des suicides » dû à son sinistre passé. Le lendemain, des intégristes avaient investi le lieu à l’appel d’un imam, Chems Eddine, et arraché les grillages bardés de cadenas par « la main du diable ».
La seconde fois, les militants n’ont pu mener à bien leur nouvelle tentative. Ils se sont retrouvés entraînés par des opposants dans des échauffourées que la police a aplanies en renvoyant chacun chez lui, menaçant d’arrestation les caméramans venus filmer la scène.
Un initiateur du mouvement d’amour, Mehdi Mehenni, a rappelé samedi à l’AFP que pas seulement l’imam mais d’autres religieux les accusent de « sorcellerie », ainsi que clamé par Chems Eddine sur une chaîne de télévision privée algérienne.
Une veuve, Rafika Djemali, fonctionnaire, en était samedi à son 3e cadenas. Un gros cadenas doré sur lequel elle a écrit en rouge « Omar forever » tout en y joignant une fleur blanche à la mémoire de son époux décédé d’un accident il y a plusieurs années.
« Je voudrai dire à ‘Chemso’ (surnom donné à l’imam) que je n’ai pas besoin de ‘grigris’ car Omar est mort mais que notre amour est toujours là », a-t-elle lancé, entourée d’amies venues la soutenir.
Atmane Ouamer est, lui, venu avec des roses rouges qu’il a coincées aux côtés de la quinzaine de cadenas tout fraîchement accrochés. « Moi je le lui dit avec des fleurs, je lui dit à Chemso qu’il faut être tolérant », lance cet informaticien de 38 ans.
« Il faut que la jeunesse algérienne puisse s’exprimer et partager son amour avec d’autres. Nous avons lancé notre appel sur Facebook et cela a été ensuite repris par les journaux », se félicite Mehdi Mehanni, lui-même journaliste au Soir d’Algérie.
« Nous montrons que la jeunesse algérienne est comme les autres », dit Idir Tazerout en référence à cette pratique qui se retrouve à Paris, Séoul, Cologne ou Florence.
Désormais, les cadenas d’amour pourront s’étaler sur deux fois 200 mètres de grillages sur ce pont de Hydra, espèrent les initiateurs du mouvement, à moins que leurs adversaires ne reviennent, cisailles en main…
(Avec AFP)