Menace sur la société civile : des milliers d’associations menacées de disparaître

Redaction

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Les associations et autres organisations non gouvernementales ont moins de six mois, soit jusqu’en janvier 2014, pour se conformer à la loi organique régissant la vie associative en Algérie, entrée en vigueur en début d’année. Infatigable, le milieu associatif algérien continue de dénoncer une réglementation qu’il juge « liberticide ». Décryptage.

Appliquée depuis janvier dernier, la nouvelle loi encadrant le milieu associatif en Algérie a le mérite de séparer le bon grain de l’ivraie dans les quelques 92.000 associations recensées sur le sol national fin 2011, dont la plupart est des organisations fantômes. Mais à quel prix ?

Très inquiètes, les associations installées en Algérie n’en finissent pas de décrier une loi taillée sur mesure, selon elles, pour bâillonner la société civile naissante. Dans un entretien accordé au quotidien El Watan ce dimanche, Saïd Salhi, membre de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme (LADDH), tire à boulet rouge sur cette nouvelle réglementation. « Elle est anticonstitutionnelle et en violation des engagements internationaux de l’Algérie, notamment des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies. Cette loi porte atteinte à la liberté d’association, de réunion et d’organisation », dénonce ce défenseur des Droits de l’Homme.

Pour exister de manière « légale », une association doit dorénavant obtenir un agrément, ce qui laisse à l’administration publique une marge de manœuvre plus importante. Mais décrocher cet agrément représente souvent un véritable casse-tête chinois pour les associations, obligées de respecter des règles de domiciliation contraignantes. Elles « doivent croiser le fer pour avoir un siège, souvent octroyé par l’administration locale et les mairies, et ce, selon les affinités et les circonstances. Il est exigé le renouvellement des décisions d’octroi pour celles qui disposent déjà de siège et une justification pour les autres. Ce problème se pose plus pour les nouvelles associations car pour avoir un siège et contracter un bail de location, il faut avoir la qualité juridique d’association et donc être agréé. Mais pour avoir un agrément, il faut disposer d’un siège ! », explique Saïd Salhi.

« Tout a été pensé pour éliminer les récalcitrants »

Aujourd’hui, les associations ont le sentiment de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête étant donné que pour tout financement ou sponsoring dit «extérieur», c’est-à-dire non étatique, une autorisation du ministère de l’Intérieur est requise. «Mais nous savons comment fonctionne l’administration algérienne ! Avec la bureaucratie et ses lenteurs, cela prendra des mois sans obtenir aucune réponse, ce qui arrive déjà d’ailleurs !», s’indigne le président de l’Etoile culturelle d’Akbou, auprès du quotidien El Watan. « Nous allons évidemment nous conformer à la loi, mais la suite dépendra entièrement de la bonne foi de l’administration », a expliqué à El Watan maître Nouredine Benissad, président de la LADDH. Et ce pour plusieurs raisons. «Nous ne savons pas si l’agrément nous sera donné. De même, les dispositions de cette loi sont tellement vagues et arbitraires qu’organiser un séminaire sur par exemple la peine de mort, ou alors dénoncer les atteintes aux libertés individuelles sera-t-il considéré comme une ingérence dans les affaires internes du pays ?», s’interroge-t-il. Farouchement opposée à ce nouveau dispositif légal, l’association SOS disparus n’entend pas déposer de demande d’agrément. « Il est évident que tout a été pensé pour éliminer les récalcitrants et récompenser les autres », assène Nacéra Dutour, présidente de SOS disparus, dans les colonnes d’El Watan.

S’ils persistent, les membres de ce collectif courent le risque d’écoper de trois à six mois de prison. A l’instar de la peine reçue par Abdelkader Kherba, membre de la LADDH et du Comité national pour la défense des droit des chômeurs, condamné le 6 mai dernier à deux mois de prison avec sursis et à une amende de 20.000 dinars parce qu’il avait distribué des tracts sur le chômage en juin 2011 pour le compte d’une association non reconnue en Algérie. « Si cette condamnation n’est pas annulée, cela enverra le message que la nouvelle loi sur les associations sera utilisée afin de restreindre encore davantage les activités des militants et des groupes travaillant de manière pacifique sur des questions que les autorités pourraient considérer comme subversives », avait réagi sur-le-champ Ann Harrison, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ONG Amnesty International.

Le problème n’est d’ailleurs pas algéro-algérien étant donné que les associations étrangères sont tout autant concernées par cette mesure. « C’est la croix et la bannière ! Imaginez que pour une simple association communale, un comité de quartier par exemple, il est exigé pas moins de dix membres fondateurs, dont il faut fournir casiers judiciaires et autres », s’étonne Hassina Oussedik, représentante en Algérie de l’ONG Amnesty International. Cette dernière devra ainsi se plier, en plus des dispositions inhérentes à son statut d’ONG étrangère, à l’obligation de présenter le casiers judiciaires de 25 membres fondateurs issus d’au moins 12 wilayas.

Déjà plus de 1.000 associations dissoutes

Donc, avec un texte législatif alambiqué et la lourdeur et les exigences des démarches administratives, sur les 92.000 associations que totalise l’Algérie, nombre d’entre elles risquent de ne pas survivre au terme de cette année 2013. « L’administration a déjà commencé à procéder à la dissolution d’associations, comme c’est le cas à Oran où plus de 1.000 associations ont été dissoutes », sur le fondement de l’article 39 de la loi, indique Saïd Salhi. Cet article 39 permet de condamner les organisations non gouvernementales « pour ingérence dans les affaires internes du pays ». Or « l’essence même des associations est justement de s’ingérer dans ces affaires ! », tranche Saïd Salhi.

A six mois de l’échéance fatidique, les associations gardent un dernier espoir : voir la loi régissant le milieu associatif amendée voire abrogée par la future réforme constitutionnelle. « Car à part son amendement par l’APN actuelle, ce qui est improbable, il ne reste que l’espoir du changement de la Loi fondamentale ; la loi sur les associations devra suivre pour se conformer à la prochaine Constitution », espère Saïd Salhi de la LADDH.

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