Tous les mercredis depuis plus de 20 ans, les familles des disparus de la décennie noire se réunissent à Alger pour revendiquer leur droit à la vérité. Membres de l’association SOS Disparus, créée en 1998, ces mères, pères, frères ou sœurs se battent contre l’indifférence des pouvoirs publics pour que leurs proches ne tombent pas dans l’oubli. Rencontre avec ces hommes et femmes qui ne désespèrent pas.
Il est difficile de trouver le lieu de rassemblement hebdomadaire des familles de SOS Disparus. Si par téléphone un membre de l’association indique la place Addis-Abeba à Alger, c’est en réalité un peu plus haut sur le boulevard Bougara, à la sortie d’un tunnel, que l’on trouve une vingtaine d’hommes et femmes d’un certain âge, assis sur un muret, le portrait de leur proche disparu dans les bras.
« Personne ne nous aide, tout le monde se fiche de la question des disparus de la décennie noire », déplore Mellis, une pancarte avec la photo de son fils dans ses mains tremblantes. Le visage labouré par les rides, ce vieil homme a vu disparaître son fils de 21 ans le 9 septembre 1993. Depuis cette date, il n’a cessé de se mobiliser pour obtenir la vérité sur les circonstances de cette disparition aux côtés de l’association SOS Disparus. Malgré la chaleur, la circulation, et la vieillesse surtout, Mellis continue de venir tous les mercredis près de la place Addis-Abeba.
Non loin de lui sur le trottoir qui borde le boulevard, Nadia tient elle aussi le portrait de son frère Mourad, disparu le 4 mai 1994. Foulard bleu tombant sur les épaules, elle raconte, volubile, l’absurdité de sa situation. « On nous a donné près de 5 dates de décès ! Au total il est mort 4 fois en 1994. Et aux dernières nouvelles, il serait mort en 2006. Je me souviens, on nous a convoqués pendant le Ramadan en 2010 pour nous dire qu’il était mort dans le maquis. Je leur ai demandé où ? Ils ne savent pas évidemment ! ». Nadia se souvient précisément du jour où son frère a disparu. « Il venait de fixer sa date de mariage, il sortait juste pour prier. C’est l’Etat qui l’a pris », assure-t-elle. Deux autres de ses frères ont eux aussi été enlevés. « Le premier a disparu 45 jours puis ils l’ont relâché. Le plus jeune de mes frères a lui écopé de 5 ans de prison ferme, commué en 2 ans après un jugement en cassation », témoigne-t-elle. « Mais Mourad, lui, n’a pas été relâché ».
Depuis, Nadia participe aux rassemblements hebdomadaires avec les autres familles. « Mais notre nombre diminue. Beaucoup de parents sont vieux maintenant, ils ne peuvent plus se déplacer ; d’autres sont morts. Comme Madame Brahimi la semaine dernière, qui est partie sans connaître la vérité sur la disparition de son fils, après 20 ans de combat ». Vérité, vérité, vérité. Comme Nadia, les familles d’SOS Disparus n’ont qu’un seul mot à la bouche.
« L’Etat a tout essayé pour clore le dossier des disparus car il ne veut pas reconnaître sa part de responsabilité dans ces disparitions», accuse Yekhlef Khalif, chargé de communication de l’association SOS Disparus. « Mais grâce au combat des familles, ils ont tout de même reconnu l’existence de 8000 disparus », souligne-t-il. Le jeune homme explique pourquoi l’association dénonce la Charte pour la paix et la réconciliation de 2005. « C’est une véritable justice que nous demandons et non pas un dédommagement. L’Etat a oublié la paix et la vérité qui sont des besoins préalables à l’indemnisation ».
Madame Roumili, qui vient pour son fils depuis le début de la création de SOS Disparus, a toujours refusé de prendre l’indemnisation à laquelle la loi lui donne droit. « Je n’ai pas besoin de leur argent. Mon fils n’a pas de prix. Moi ce que je veux, c’est la vérité, même si elle est douloureuse à entendre ». Elle raconte que son fils a été enlevé le 10 mars 1997 à son domicile par la sécurité de Ben Aknoun, devant sa fille et ses enfants. « C’est dur, parfois j’ai envie de baisser les bras, mais je ne peux pas m’empêcher d’espérer », assure cette mère de famille meurtrie. « A quand la vérité sur la disparition de nos proches?», demande-t-elle d’une petite voix au nom de toutes les personnes à côté d’elle, prostrées sur ce petit muret au bord d’un boulevard.
Agnès Nabat