Plus de quarante ans après la fin des essais nucléaires français dans le désert du Sahara, la menace radioactive persiste dans le Sud de l’Algérie. Négligées par la France, les familles des victimes de ces essais demandent, encore, à ce jour réparation.
Dans le Sud de l’Algérie, il y a comme un poison dans l’air. Inodore, incolore, mais pourtant bien présent et ce depuis plus de quarante ans et l’abandon des essais nucléaires de la France, conformément aux accords d’Evian. Au total, treize tirs souterrains, dont quatre qui n’ont pas totalement été confinés, ont été effectués dans le Sud de l’Algérie, entre 1961 et 1966, soit après l’indépendance nationale. Selon des chercheurs militaires, les bombes testées contenaient du plutonium, un métal plus toxique que l’uranium.
Pollué pour les 24 000 prochaines années !
Aujourd’hui encore, le sol, la végétation, les nappes phréatiques et l’air du Sud de l’Algérie en garde de graves séquelles. Notamment à In-Eker, situé à 180 km au sud de Tamanrasset, où les essais en souterrain ont commencé en novembre 1961. La ville a été irradiée dès le second test en galeries dans les montagnes de Taourit Tan Affla et Tan Ataram, en mai 1962. Une exposition si forte aux éléments radioactifs, qu’In-Eker est pollué pour les « 24 000 années à venir », indique le quotidien Liberté.
Leucémie, mort-nés, déformation fœtales, pathologies cancéreuses, à In-Eker, et dans les autres villes exposées à de forts taux de radiation, on dénombre de très nombreux cas de maladies caractéristiques des irradiations nucléaires. « Certes, nous n’avons pas de statistiques exactes sur les victimes car ce dossier est toujours classé secret-défense. Mais le nombre de malades atteints, entre autres, par le cancer du sang est on ne peut plus important », a expliqué à Liberté un responsable de l’APC d’In-Mguel, situé à 130 km du chef-lieu de daïra de Tamanrasset. « La maladie a ébranlé la région et touché même le cheptel des nomades qui paissent à l’intérieur même du site où ont été effectués les essais d’autant plus que la zone est libre d’accès puisque le grillage et les fils barbelés qui servaient de clôture ont été pillés et vandalisés. Aucune protection contre la radioactivité n’y existe à présent. Par ignorance et par manque de vulgarisation et de sensibilisation, les nomades fréquentent toujours cette zone dangereuse », a-t-il déploré.
« Les gens sont inconscients de l’ampleur du danger »
A l’APC d’In-Mguel, on déplore le manque de communication sur ce drame, qui reste tabou en Algérie, même plus de quarante ans après les faits. « Nous ne disposons d’aucun travail de recherche en mesure de nous aider à convaincre la population sur les effets néfastes de la radioactivité. Les gens sont inconscients de l’ampleur du danger. De toutes les recherches effectuées sur le site, aucun compte-rendu ne nous a été remis. Les explorateurs doivent faire participer le citoyen et le sensibiliser sur les risques de la radioactivité et les maladies qui en découlent », ajoute le responsable de l’APC d’In-Mguel interrogé par Liberté.
Contre cette omerta, des habitants d’In-Eker ont décidé de se mobiliser sous l’impulsion de l’association Taourirt, créée dans le but justement de sensibiliser la population sur les effets de la radioactivité sur la santé et sur l’environnement et de défendre les droits des victimes des essais nucléaires. « Aucune carte sur les endroits où sont enfouis les déchets nucléaires n’a été léguée par la France. L’association a été créée pour sensibiliser d’abord les riverains qui côtoient cette zone contaminée. L’indemnisation passe après, car il est impossible de rendre âme aux victimes décédées à cause de cette calamité même si l’on dispose de tout l’or du monde », explique Touhami Abdelkrim, vice-président de l’association. « Nous demandons la réparation morale avant de parler des dédommagements des victimes et la reconnaissance des crimes perpétrés dans le Sahara algérien, cette région que le général de Gaulle qualifia de zones inhabitées pour bénéficier de l’accord des Nations unies », martèle-t-il.
L’indifférence des autorités algériennes
Pour l’heure, la France rechigne à dédommager convenablement les victimes de ses essais nucléaires. C’est du moins ce qui transparaît d’une législation controversée et ambiguë, dénoncée par l’association Taourirt. Pour son président, Elouaar Mahmoud, la loi française du 5 janvier 2010, est une preuve d’irresponsabilité et de mauvaise foi de la part de l’ex-colonisateur. Dans le premier alinéa du 2ème article, la loi précise que la personne souffrant d’une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d’expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres. Or, « aucun fichier répertoriant les personnes concernées n’a été remis aux autorités algériennes. Ces dernières restent indifférentes malheureusement », s’indigne Elouaar Mahmoud.
D’ailleurs, le bilan humain de ces expérimentations nucléaires n’est toujours pas définitif. L’association Taourirt recense près de cinq cent âmes, soumises au rayonnement iodant, qui attendent un geste de Paris. De son côté, l’APC d’In-Mguel avance le nombre de 254 personnes ayants droits.