La Coupe du Monde peut-elle se défaire de l’égoïsme qui caractérise ses supporters ? La tant espérée « communion footballistique mondiale » n’est qu’une utopie et, devant leurs écrans de télévision, les supporters vibrent pour leur équipe nationale autant qu’ils déversent leur haine sur l’équipe adverse. Mais une autre Coupe du Monde est possible affirme l’économiste américain Dean Karlan, qui a mis au point un indice permettant de définir quel résultat final permettrait de maximiser le bonheur du monde.
Un indice pour lier football et bonheur mondial
L’entreprise de Dean Karlan a commencé avec un constat : les Américains, bien qu’ils s’intéressent à la Coupe du Monde, ne se passionnent pas pour leur équipe nationale. Karlan a donc cherché comment inciter ses compatriotes à supporter l’équipe dont la victoire produirait la plus grande augmentation de bonheur à l’échelle mondiale. Son travail s’inscrit dans le courant de pensée utilitariste qui, pour faire simple, préconise d’agir en toutes situations de manière à maximiser le bonheur du plus grand nombre.
Karlan a donc créé un indice assez simple. Il a évalué la passion pour le football dans les 32 pays engagés dans le tournoi et a ensuite multiplié le chiffre obtenu par le niveau moyen de pauvreté et la taille de la population de chaque pays.
Pourquoi choisir ces trois critères ? « Prendre en compte l’intérêt pour le football semble évident : plus les fans sont passionnés, plus ils seront heureux si leur équipe gagne, » explique Karlan au New York Times. En ce qui concerne le critère de la pauvreté, Karlan note que « premièrement, le bonheur et la richesse sont corrélés et [que], toutes choses égales par ailleurs, un utilitariste préférera aidera la personne la moins bien lotie ». « Deuxièmement, » ajoute-t-il, « les riches ont plus de ressources pour faire face à une déception sportive et peuvent rebondir plus vite ». Enfin, la justification du choix du facteur démographique revient à la définition même de l’utilitarisme, qui cherche à maximiser le bonheur du plus grand nombre.
Si les deux derniers facteurs sont régulièrement évalués par des organisations nationales et internationales, le premier est plus difficile à mesurer. Pour obtenir un chiffre correspondant au degré de passion d’un pays pour le football, Karlan a utilisé Google Trends, et a comparé le nombre de recherches portant sur le football avec le nombre de recherches portant sur les sports les plus populaires dans chaque pays. Par exemple, il a ainsi constaté qu’aux États-Unis, les recherches liées au football représentent 16% des recherches liées au sport, alors que ce pourcentage grimpe jusqu’à 85% pour la Colombie. Sur la base de ces évaluations, Karlan a pu constaté que l’Afrique est la région la plus passionnée par le football, et ce grâce à la folie footballistique à l’œuvre dans des pays tels que l’Algérie, le Ghana, le Nigéria et la Côte d’Ivoire.
Pour maximiser le bien de l’humanité, il faudrait que le Nigéria gagne la Coupe du Monde
Les résultats des calculs de Dean Karla sont éloquents. Le Nigéria arrive en tête du classement, ce qui signifie que, pour maximiser le bonheur mondial, il faut espérer une victoire des Super Eagles. En effet, le Nigéria arrive 4e en ce qui concerne la passion pour le football et est un des pays les plus pauvres et les plus peuplés de la compétition. Au final, son score total est bien plus élevé que celui de n’importe quel autre pays engagé dans cette Coupe du Monde. « Pour faire simple, » écrit Karlan, « les Nigérians ont beaucoup de gens pauvres très passionnés qui sont prêts à fêter une victoire de leur pays ».
Viennent ensuite le Brésil, le Mexique et la Russie, des pays très peuplés et passionnés du ballon rond. À l’inverse, une victoire de l’Australie, des États-Unis ou de la Suisse n’apporterait que très peu au bonheur de l’humanité.
L’Algérie est classée 8e sur 32 (à égalité avec le Ghana), avec un score de 11. Loin derrière le Nigeria, ce qui s’explique en partie par l’énorme différentiel démographique entre les deux pays : alors que Nigéria compte 174 millions de citoyens, l’Algérie n’en recense que 38 millions. Nul doute que le degré de passion pour le football a permis de hisser l’Algérie dans le top 10 de ce classement.
Leçons générales de cet indice footballistique
Karlan ne se contente pas d’élaborer un classement, mais veut également prouver que l’on peut tirer des enseignements de cet indice. « En tant qu’économiste du développement, j’ai passé beaucoup de temps à essayer de trouver comment créer le maximum de bonheur avec des ressources limitées, » écrit-il. Or, il semblerait que l’on aie ici la possibilité d’augmenter de manière conséquente le bonheur mondial sans devoir utiliser trop de ressources.
Mais l’étude de Karlan est-elle alors une incitation à la fraude ?