L’Algérie face à la crise mondiale. Interview du docteur Abderrhamane MEBTOUL

Redaction

Interview du docteur Abderrhamane MEBTOUL expert international, professeur des universités Ex président du Conseil Algérien des Privatisations, Au plus grand quotidien financier des Emirats Arabes Unies, Alroya Aleqtissadia – News Paper – Abou Dhabi – le 18 mars 2009.

Question 1- La crise mondiale touche t-elle l’Algérie ?

C’est un sujet d’une brûlante actualité comme le démontre les inquiétudes des dirigeants des plus grand pays du monde. . Quelles peuvent être les vraies répercussions de cette crise financière internationale, qui ébranle l’économie mondiale dans son ensemble ? En été 2007, au lendemain de l’éclatement de la crise, plusieurs responsables algériens affirmaient, « nous n’avons rien à craindre » avant de faire volte face. A l’instar de bon nombre de pays du Tiers monde sommes nous, grâce au sous-développement immunisé car étant toujours en crise ? Or, je ne vois pas sous cet angle car l’Algérie possède des potentialités n’est pas une île déserte. Certes, cette crise ne touche pas le système financier algérien dans la mesure où n’existent pas de véritables banques, ni de bourses de valeur reliés aux réseaux mondiaux comme dans votre pays, et le dinar n’est pas convertible. Cependant les recettes en devises proviennent pour plus de 98% des hydrocarbures, le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole et toute décroissance de l’économie mondiale a des répercussions sur la demande et donc des recettes du pays. Car c’est une question de demande d’hydrocarbures et non d ‘offre ce qui explique que les différentes réunions de l’OPEP qui représente d’ailleurs moins de 40% de la production commercialisée mondiale aient eu un impact limité perdant d’ailleurs avec les différentes réductions de quotas des parts de marché au profit des pays non OPEP, la discipline sein de l’OPEP étant loin d’être respectée. Or la crise mondiale, touche tous les pays sans exception : les pays développés, USA, Japon, toute l’Europe des 27, et tous les pays émergents dont la Chine , la Russie , l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud, la Turquie qui tirait la croissance de l’économie mondiale, ces pays représentant plus de 70% de la demande mondiale. Ignorer la crise, outre que ce genre de discours démobilise la population parabolée, constatant le malaise économique et social à travers le monde. C’est comme un malade qui craignant le pire, ne veut pas voir un médecin, voulant vivre d’illusions à savoir un retour rapide d’un cours élevé du dollar et du pétrole à 100 dollars le baril.

Question 2: Le programme de financement 2009/2014 de l’Algérie sera t –il réalisé ?

Après une dépense monétaire de plus de 150 milliards de dollars entre 2004/2008 dont 90% proviennent des dépenses publiques donc des hydrocarbures , le gouvernement algérien a prévu 150 milliards de dollars de dépenses publiques entre 2009/2014 soit à prix constants de l’année 2000, 100 milliards de dollars tenant compte de la dépréciation du dollar et de l’inflation mondiale, car il faut éviter l’erreur de raisonner à prix courants car un cours du baril à 50 dollars en mars 2009 équivaut à environ à 30 dollars au prix de 2000.Or,le cours du pétrole étant libellé en dollars, toute dépréciation du dollar se répercute sur la parité du pouvoir d’achat en autres monnaies qui s’apprécient et cela devient plus dramatique s’il y a reprise de l’inflation mondiale, comme cela risque d’être le cas avec probabilité d’une dépréciation du dollar. L’Algérie a entre 140 et 150 milliards de dollars de réserves de change et a un stock de la dette inférieure à 5 milliards de dollars. Au rythme des dépenses 2008, dont les importations ont connu une envolée( 40 milliards de dollars, et tenant copte des transferts de dividendes,plus services y compris les associés de Sonatrach, des nouveaux besoins d’investissement (l’Etat investit à 100% ou étant majoritaire selon les directives depuis décembre 2008 ) des plans de financement de Sonatrach ( 63 milliards de dollars) et 15 milliards de dollars de Sonelgaz , le problème de financement ne se pose pendant trois années si le cours est entre 50/55 dollars toujours à prix constant, des tensions budgétaires devraient se manifester fin 2011. A un cours entre 40/45 dollars toujours à prix constants et si l’on maintient le même rythme des dépenses et sans améliorer la gouvernance, la gestion qui étant souvent défectueuse, des tensions budgétaires devraient se manifester fin 2010.Le cours souhaitable pour l’Algérie est entre 75/80 dollars le baril.

Question 3: Les dernières mesures gouvernementales ne sont-elles pas un retour sur les réformes promises par le gouvernement algérien ?

L’Algérie depuis 1995 a réussi la stabilisation macro-économique. Mais cette stabilisation serait est éphémère sans de profondes réformes structurelles à savoir les réformes micro-économiques et institutionnelles qui accusent un retard important, expliquant la faiblesse de l‘entreprise qu’elle soit publique ou privée (le monopole source de surcoût et de gaspillage étant dominant avec la faiblesse d un environnement concurrentiel permettant des rentes au profit d’une minorité) et donc la production et les exportations hors hydrocarbures. L’Algérie est en transition depuis 1986, n’étant ni dans une économie de marché véritable malgré qu’elle soit liée à un Accord de zone de libre échange avec l’Europe qui a défini le cadre de libéralisation, et que le gouvernement algérien a ratifié en toute souveraineté, ni une économie administrée, expliquant les différents dysfonctionnements tant politiques économiques que sociales. Cela renvoie à la refonte de l‘Etat par une lutte contre la bureaucratie et la corruption, la sphère informelle drainant plus de 40% de la masse monétaire en circulation étant la résultante, le système financier sclérosé (guichets administratifs) , le foncier et l’inadaptation du système socio-éducatif. En fait le blocage est d’ordre systémique. Aussi je pense à la lumière de l’expérience de la crise récente, que ce serait une lourde erreur stratégique de penser que c’est un retour au communisme, donc de l’étatisme en précisant que la théorie keynésienne en vogue actuellement s’inscrit dans le cadre d’une libéralisation maîtrisée donnant le primat au secteur privé créateur de richesses à travers une politique de déficit budgétaire ciblée. Car, la véritable économie de marché concurrentielle suppose une régulation forte de l’Etat et du fait de l’interdépendance des économies en ce XXIème siècle, contrairement à la période de la crise de 1929, une régulation mondiale. Et ce afin de synchroniser la sphère réelle et financière, concilier la dynamique économique avec une plus grande cohésion sociale. Le retour à l’étatisme serait suicidaire pour l’Algérie comme serait suicidaire le protectionnisme pour l’économie mondiale. La crise économique actuelle est structurelle et non conjoncturelle. Il faut savoir qu’un taux de croissance se calcule par rapport à la période antérieure et une croissance après à un taux négatif de l’année précédente donne toujours un taux faible. Comme après une grave maladie , la convalescence durera de longues années, au minimum jusqu’en 2014/2015 si les thérapeutiques s’avèrent efficaces et donc qu’une légère reprise soit effective début 2011, pour que l’économie mondiale retrouve son ancien niveau . Mais cette crise imposera une nouvelle reconfiguration géopolitique et économique au niveau mondial qui devrait avec de nouveaux acteurs comme les pays émergents par la prise en compte du nouveau défi écologique, impliquant de grands ensembles économiques. Ce qui pose d’ailleurs l’urgence pour nos pays de penser véritablement à une véritable intégration des économies arabes et plus près de mon pays accélérer l’intégration maghrébine sans oublier le continent Afrique enjeu du XXIème siècle. Pour répondre donc directement votre question, je ne pense pas que l’Algérie s’oriente vers l’étatisme ce qui équivaudrait à dire qu’elle rejoindrait le seul pays du monde à savoir la Corée du Nord. L’option de l’économie de marché et l’approfondissement des réformes dans un cadre maîtrisée grâce au rôle actif de l’Etat régulateur, sont des options irréversibles même si elles sont freinées momentanément par des couches sociales très actives rattachées aux intérêts de la rente.

Alroya Aleqtissadia News Paper – Abou Dhabi – du 18 mars 2009

NB- en langue arabe, ci-joint texte en français

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