Les Prix Nobel d’économie et la crise mondiale

Redaction

En 2009 le prix Nobel d’économie a été attribué aux chercheurs qui ont fait le lien entre l’efficacité des institutions, la bonne gouvernance et le développement économique. En 2010 le prix Nobel a été attribué à des recherches sur le marché du travail. Et la crise économique, non encore terminée, parce que structurelle n’est pas étrangère à ces attributions.

I- Les prix Nobel 2009 : l’efficacité des institutions et la bonne gouvernance

Le prix Nobel 2009 a été attribué pour les travaux sur les institutions et la bonne gouvernance, ce terme « corporate governance », pouvant le traduire par gouvernance d’entreprises, ayant au départ été utilisé dans les milieux d’affaires américains. Par la suite, la notion de «urban governance » s’est généralisée dans l’étude du pouvoir local et a fait par ailleurs son apparition à la fin des années 80 dans un autre champ, celui des relations internationales.

Le terme de  » good governance «  est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d’une bonne administration publique dans les pays soumis à des programmes d’ajustement structurel. Mais le pas décisif de la recherche sur la bonne gouvernance date des années 1990 en réaction à la vision, jugée techniciste, du New Public Management où ont été mis en relief, à juste titre, que la crise de l’État ne connaît pas seulement une crise interne touchant à ses fonctions et à sa structure, mais concerne davantage la capacité de l’État à asseoir sa légitimité ainsi qu’à formuler des politiques publiques en phase avec les besoins socio-économiques.

Ces théories ont pris en compte les agents économiques opérant dans la sphère informelle, qui dans leur conscience, fonctionnent dans un espace qui est leur droit avec des codifications précises entretenant des relations complexes avec la sphère réelle, nous retrouvant devant un pluralisme institutionnel/juridique contredisant la vision moniste du droit enseigné aux étudiants.

Comme consécration de la recherche du rôle fondamental des institutions, en octobre 2009, le jury du Prix Nobel en Sciences économiques de l’Académie Royale Suédoise des Sciences a choisi le travail d’une femme, Elinor Ostrom, pour « son analyse de la gouvernance économique, en particulier des biens communs » et d’Olivier Williamson pour « son analyse de la gouvernance économique, en particulier des frontières de la firme ».

Ces apports théoriques à portées opérationnelles montrent que les institutions ont un rôle dans la société, déterminant la structure fondamentale des échanges humains, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques et qu’elles constituent un des facteurs déterminants du développement économique de long terme. Sur le plan opératoire, la version actualisée de l’année 2009 des indicateurs de gouvernance dans le monde, établie par des chercheurs de la banque mondiale, montre que certains pays progressent rapidement dans le domaine de la gouvernance (D. Kaufmann,) tout en reconnaissant que les données font aussi apparaître des différences sensibles entre les pays. Les progrès sont en rapport avec les réformes dans les pays où les dirigeants politiques considèrent la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption comme des facteurs indispensables à une croissance durable et partagée.

II- Le prix Nobel 2010 : marché du travail et chômage

Pour 2010 le prix Nobel d’économie a été attribué le 11octobre 2010 à deux Américains et à un Britannique d’origine chypriote pour leurs travaux sur l’influence de l’ajustement entre offre et demande sur certains marchés, travaux ayant largement influencé les politiques publiques. Ces prix Nobel sont Peter Diamond, 70 ans, est un ancien professeur de Ben Bernanke, l’actuel patron de la Federal Reserve. Dale Mortensen, 71 ans, enseigne à l’université de Northwestern. Il a publié des travaux reconnus sur les théories sur la recherche d’emploi et le chômage frictionnel.

Christopher Pissarides, 62 ans enseigne à la London School of Economics étant un spécialiste des interactions entre le marché du travail et les décisions prises au niveau macro-économique. Pour situer ces apports, quoi ont une influence sur les politiques publiques dont les agences de travail, il est intéressant de relater brièvement les différentes théories de l’emploi. Selon la théorie marxiste, l’exploitation provient du fait que le travailleur produit plus que ce qui est nécessaire à la reproduction de sa force de travail.

Selon le courant néo-classique, le chômage provient des rigidités du fonctionnement du marché du travail. Le travail est un bien comme un autre qui s’échange sur un marché étant un arbitrage volontaire entre l’offre des salariés fonction du salaire réel qui acceptent un taux de salaire minimum à partir duquel un individu donné passe d’une offre de travail nul à une offre de travail positive et la demande de l’entrepreneur fonction décroissante du salaire réel. Si les conditions de concurrence pure et parfaite sont respectées sur le marché du travail, il existe un niveau de salaire d’équilibre qui permet la satisfaction de l’offre et de la demande de travail.

Si l’offre de travail est supérieure à la demande de travail, la baisse du salaire conduit certains offreurs à sortir du marché du travail et des demandeurs à entrer sur le marché. Il en résulte que le chômage est d’abord et avant tout volontaire. Selon Keynes et à sa suite les keynésiens, le chômage n’est pas du à un mauvais fonctionnement du marché du travail, les salariés ne pouvant offrir un travail en fonction d’un salaire réel puisqu’ils ne maîtrisent pas les prix des biens et des services, négocient le salaire nominal.

Le niveau d’emploi dépend des décisions des entrepreneurs qui cherchent à maximiser leur taux de profit en fonction d’un univers incertain où ils anticipent l’offre et la demande globale (consommation et investissement), pouvant ne pas correspondre au niveau du plein emploi (situation de sous emploi d’où les plans de relance de la demande par le déficit budgétaire). Selon les théoriciens du déséquilibre, les prix des biens et des services ainsi que le salaire sont fixes et que tout déséquilibre sur les marchés qu’ils soient des biens et des services ou bien du travail entraîne un rationnement par les quantités, raisonnant en économie ouverte, la compétitivité sur les marchés extérieurs influençant le niveau de la demande extérieure et le niveau du chômage expliquant que bon nombre de firmes préconisent une plus grande flexibilité du marché du travail et la délocalisation fonction du niveau de salaire, le coût du travail trop élevé nuisant à la rentabilité des investissements.

Les prix Nobel 2010 s’inscrivent dans le cadre de la théorie dite du job search développée par George Stigler dans les années 1960, qui permet d’expliquer la coexistence entre un chômage volontaire et un chômage involontaire, théorie qui a mis en relief la théorie du chômage prospectif, l’individu procédant à un calcul coût-avantage lors de sa recherche d’emploi.

L’information étant imparfaite, il peut être avantageux pour lui de prolonger sa période de chômage afin d’acquérir le maximum d’information sur les postes disponibles. Le chômeur arbitrera entre, le coût, dont la perte de revenus pendant qu’il est au chômage, et la désincitation à reprendre un emploi du fait de l’existence de l’indemnisation du chômage qui conduit l’individu à augmenter sa durée au chômage et par la suite ses difficultés à être embauché.

Dans le prolongement de cette théorie, les prix Nobel 2010 ont montré que contrairement aux théories classiques qui stipulent que l’offre s’ajuste à la demande déterminant grâce à une information transparente, le prix du travail ne correspond pas à la réalité car existant des frictions qui empêchent des acheteurs de satisfaire leur demande et certains vendeurs d’écouler toute leur offre, pouvant exister un chômage « frictionnel » ou d’attente, même en situation de plein emploi.

Cela suppose de comprendre en dynamique et à moyen et long terme, à la fois le comportement du chômeur(plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et la durée de recherche est longue) et le comportement des entreprises dans la gestion des ressources humaines( stabilité du collectif ou rotation) dont l’impact des mutations mondiales concernant l’adaptation à la compétitivité par l’émergence de secteurs dynamiques de croissance.

Ces auteurs essaient de répondre ainsi à plusieurs questions lancinantes : pourquoi y a-t-il autant de gens sans travail alors qu’au même moment il y a de nombreuses offres d’emplois ? Comment la politique économique influence-t-elle le chômage ? Aussi, l’importance de ces travaux est de mettre en relief les liens entre les politiques macro-économiques et macro-sociales et l’évolution du marché du travail y compris le niveau d’indemnisation du chômage.

Ces analyses s’inscrivent plutôt dans le cadre des théories du déséquilibre faisant le pont entre la théorie keynésienne et la théorie néo-classique, et non dans le cadre des théories de la régulation suite aux travaux de Robert Boyer- Michel Aglietta, synthèse entre la théorie keynésienne et la théorie marxiste.

III-Les divergences des prix Nobel d’Economie face à la crise

Dans son rapport publié courant octobres 2010, la banque mondiale note que le pire de la crise financière est derrière nous et la reprise économique mondiale est en cours, mais que cette reprise est fragile, l’ampleur globale de la reprise et sa durabilité dépendant du redressement de la demande des ménages et des entreprises.

Pour preuve, la faible reprise de la sphère réelle, le nombre de sans-emploi dans le monde ayant atteint près de 212 millions en 2009, en raison d’une hausse sans précédent de 34 millions par rapport à 2007, à la veille de la crise économique mondiale, a annoncé le Bureau international du Travail (BIT) dans son rapport annuel sur les tendances mondiales de l’emploi publié fin janvier 2010.

S’appuyant sur les prévisions économiques du FMI, le BIT estime que le chômage devrait rester élevé en 2010, notamment dans les économies développées et l’Union européenne où un surcroît de 3 millions de personnes pourrait grossir les rangs des chômeurs en 2010. Qui dit chômage seul indicateur de la reprise de la sphère réelle, dit baisse de la demande solvable qui se répercute sur le niveau de l’appareil de production et l’Espagne le pays le plus frappé de l’Europe avec près de 20% du taux de chômage est un exemple significatif. Et le danger dans les années à venir est le risque de conjonction de bulles financières et de bulles budgétaires 2013/2015 à travers l’endettement excessif des États, des déficits qui commencent à inquiéter les marchés, des marchés nerveux, inquiets de la situation excessive de l’endettement public de certains pays.

Face à l’ampleur de la crise, les prix Nobel d’Economie, pour les solutions, sont divisés parfois avec des propositions contradictoires entre les partisans de l’orthodoxie monétaire et les partisans de la relance par le déficit budgétaire. Et cela se constate à travers la lecture des revues internationales entre les différentes doctrines économiques ayant des impacts sur les politiques économiques entre les «keynésiens», les «marxistes», les «néo-libéraux» les «monétaristes» dont Milton Friedman( prix Nobel d’économie) et ses disciples , les Chicago Boys et les «Autrichiens» , chacune les événements économiques d’après leur conception de l’homme et du monde.

Cependant, la grande majorité des économistes s’accorde aujourd’hui sur la nécessité d’asseoir la macroéconomie sur des fondements microéconomiques, que voir les phénomènes de bulles et de surendettement est une chose, anticiper les crises en est une autre et que les économistes sont mal armés pour analyser le systémique et les phénomènes d’anticipation collective qui provoquent une crise et que les économistes doivent avoir une approche pluridisciplinaire et travailler plus avec les sociologues et les spécialistes de l’opinion en intégrant les instituions et les forces sociales d’où la relecture des œuvres de Karl Marx théoricien avant tout du capitalisme.

C’est que de mon point de vue, l’émergence d’une économie et d’une société mondialisées et la fin de la guerre froide depuis la désintégration de l’empire soviétique, l’apparition des pays émergents qui bouleversent la carte géostratégique mondiale, remettent en cause la capacité des États- nations à faire face à ces bouleversements.

Les gouvernements à travers les Etats Nations – et la crise actuelle en est la démonstration, sont désormais dans l’impossibilité de remplir leurs missions du fait de la complexification des sociétés modernes, de l’apparition de sous-systèmes fragmentés, de l’incertitude liée à l’avenir et de la crise de la représentation politique, d’où l’exigence de s’intégrer davantage dans un ensemble plus vaste pour pouvoir répondre aux nouvelles préoccupations planétaires avec une nouvelle régulation mondiale. L’Américain Paul Krugman néo-keynésien qui a obtenu, en 2008, le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur le libre échange et la mondialisation dans sa conférence le 10 août 2009 à Kuala Lampur (Malaisie) devant un forum international des chefs d’entreprise, à une question posée, il affirmera humblement que les gouvernants et les économistes sont désemparés faute d’un nouveau modèle tenant compte de la complexité du monde actuel.

Pour preuve de cette mésentente entre les économises des propositions qui ne s’attaquent pas à l’essentiel lors des différentes réunions du G20 tenues à Londres et à Pittsburg représentant 85% du PIB mondial et 2/3 de la population mondiale., ces réunions ont évité d’aborder des sujets qui fâchent comme la suprématie du dollar, la refonte des relations économiques et financières internationales. Elles ne sont pas parvenus à avancer sur des sujets aussi complexes tel que la protection de l’environnement (suite logique du résultat mitigé de la réunion de Copenhague), la régulation des produits dérivés, le projet d’une taxe sur les transactions financières (divergence entre les USA et l’Europe à Toronto) et le rythme de retrait des plans de relance. Ces difficultés posent clairement la question de la méthode de gouvernance mondiale et du processus de prise de décision à vingt pays. Or, outre le fait de se poser la question si face à la crise mondiale, les politiques contradictoires en l’espace de deux années, des dépenses publiques dites néo-keynésiennes avec un rôle central à l’Etat régulateur courant 2009 et celles plus monétaristes depuis le début 2010 avec les restrictions budgétaire, s’avèreront-elles efficaces ?

Le prix Nobel d’économie de 2001 Joseph Stiglitz estime que ces actions ne sont qu’une solution à court terme les comparant à «une transfusion sanguine massive à une personne souffrant d’une grave hémorragie interne». Aussi, l’objectif stratégique est de repenser tout le système des relations économiques internationales et notamment le système financier mondial issu de Breeton Woods en 1945 en intégrant le défi écologique, car en ce début du 21ème siècle, des disparités de niveau de vie criardes font de notre planète un monde particulièrement cruel et dangereusement déséquilibré. Quand on sait que, dans les 25 prochaines années, la population mondiale augmentera de deux milliards d’individus – dont 1,94 milliard pour les seuls pays en voie de développement – on peut imaginer aisément le désastre qui menace cette partie de l’humanité si rien de décisif n’est entrepris.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL Professeur d’Université-Economiste

PS-En réalité, le « Prix Nobel d’économie » n’a jamais existé. Par contre, il existe un « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel