Mass Effect 2 débarque en pleine guerre froide

Redaction

Dans le monde des jeux de rôle pour consoles, deux blocs s’opposent. A l’est, le jeu de rôle japonais à la Final Fantasy, le RPG (Role Playing Game) mignon et un brin naïf, qui a du mal à se renouveler. A l’ouest, le RPG nord-américain, transgenre dopé à la testostérone. Mass Effect 2, qui sort aujourd’hui en France, est de ceux-là.
Dans ce monde bipolaire, une bonne communication est essentielle. Et il faut reconnaître que celle du bloc ouest est diablement efficace. Electronic Arts, l’éditeur de Mass Effect 2, distille depuis quelques mois sa propagande dans tous les médias spécialisés, arrosant les foules déjà conquises de tonnes de captures d’écran et vidéos très impressionnantes. Mais c’est juste avant Noël que le vrai travail de sape à commencé, avec les déclarations de Bioware, le développeur du jeu. Greg Zeschuk et Ray Muzyka, qui dirigent le studio canadien, ont engagé les hostilités en choisissant une ligne très simple: enterrer l’ennemi. «La chute du RPG japonais est due à un manque d’évolution, de progression, balancent les compères. [Les développeurs japonais] refont à chaque fois le même produit. Les jeux sont plus jolis, mais c’est toujours la même expérience.»
Pas dupe du procédé, une bonne partie de la planète jeux a pourtant adhéré à ces arguments, objectivement assez justes. Chaque RPG japonais est différent, mais pas tant que cela. Yoishi Wada, le PDG de l’éditeur nippon Square Enix, reconnaît lui-même que Final Fantasy XIII, la grosse Bertha du RPG japonais, sorti en décembre là-bas et attendu en mars dans le reste du monde, ne contenait «pas beaucoup de nouveauté». Tout en pariant qu’il allait battre le record de 10 millions d’exemplaires vendus par Final Fantasy VII, le premier épisode en 3D de la série. De manière assez surréaliste, Wada se félicite que cet épisode contienne «ce qu’on attend d’un Final Fantasy», c’est-à-dire, décrit-il avec un lyrisme tout nippon, «une histoire magnifique et émouvante [et] la possibilité de se détendre et d’apprécier le jeu». Mais les faits lui ont donné raison: plus d’un million d’exemplaires de Final Fantasy XIII se sont écoulés dans les trois jours qui ont suivi sa sortie.

La riposte des joueurs japonais

Les fans de J-RPG, qui aiment ces jeux malgré et sans doute à cause de tous leurs défauts – notamment les combat au tour par tour, qui repoussent bien des joueurs -, ont compilé une hilarante liste des 192 clichés du genre (aussi disponible en français). Exemple : «n°13: plus sa coiffure est extravagante, plus un personnage masculin est important dans l’histoire». Dans un esprit de conciliation, le magazine en ligne IGN a même dressé une liste de dix points à améliorer dans les J-RPG. Tollé sur le Net. Sur le forum 2ch, les gamers japonais défendent bec et ongles les jeux qu’ils aiment, invoquant la différence culturelle: «Hé les étrangers, on trouve que vos FPS [First Person Shooter, les jeux de tir en vue subjective] sont chiants comme la mort», écrit l’un. Parfois pure provocation («Les Américains ne comprennent pas les choses complexes, alors nos meilleurs jeux ne sont pas exportés»), les commentaires livrent tout de même un embryon de début d’analyse, à prendre au premier ou au huitième degr : «Les J-RPG permettent au joueur de faire l’expérience d’une montée en puissance en partant de zéro. Ils sont nécessaires pour maintenir l’ordre public au Japon.» Le sentiment général est ainsi résumé: «Les jeux étrangers manquent de subtilité et de détails, et le design des personnages et l’histoire sont mauvais.»
Là encore, difficile de ne pas être convaincu par certains arguments sur le simplisme des jeux occidentaux. Car à l’ouest de l’Oural, le nerf de la guerre, c’est… la guerre, justement. Avec des joueurs qui aiment l’action et les univers plus «adultes», le FPS se porte très bien (Halo 3 s’est vendu à plus de dix millions d’exemplaires, chiffre déjà presque atteint par Call of Duty: Modern Warfare 2, sorti le 10 novembre dernier et classé parmi les meilleures ventes occidentales depuis). Du coup, pour leur faire manger du RPG, la meilleure solution est encore de le couper très fin et de le cacher sous un shooter, ce que Mass Effect accomplit avec un incontestable brio. Tour de force, Bioware a réussi dans ce deuxième opus à réduire encore l’aspect RPG au profit du FPS, tout en améliorant ce système de narration si particulier qui place réellement le joueur au centre de l’histoire, en lui permettant d’influencer la personnalité du héros et la nature de ses rapports avec les autres protagonistes.
La tendance est donc aux transfuges et au «gender bending», et les Japonais, prêts depuis longtemps à s’occidentaliser pour vendre, y viennent aussi: aujourd’hui sort au Japon Resonance of Fate (annoncé en France pour mars), un RPG qui mêle les combats le traditionnel tour par tour et une dimension shooter, tout en offrant aux adeptes du genre de complexes et innombrables menus de réglages. Le sort du «pur» jeu japonais, en mal de renouvellement, est-il pour autant réglé? La passion qu’il inspire à son public, sur l’archipel et dans le reste du monde, attire encore le respect et attise la convoitise des éditeurs. D’ailleurs, le Français Ubisoft a récemment annoncé qu’il aimerait travailler sur un RPG japonais. Le salut du genre viendra-t-il d’ici?

Mathias Cena
Slate.fr

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