Monopole et rentes : pourquoi le gel du conseil de la concurrence ?

Redaction

Il faut éviter les passions et se conformer dans tout Etat de droit à la loi. La loi sur la concurrence prohibe clairement à tout producteur ou importateur le monopole soit par une baisse arbitraire des prix pour éliminer illégalement ses concurrents soit par des rentes de monopole pour les hausser, ne pouvant détenir une part de marché supérieure à 40% dérogeant exceptionnellement pour les services publics, ce taux étant au niveau international plus bas d’environ 30%.

A l’instar de certaines institutions de la république, comme la Cour des Comptes, le conseil de la concurrence née avec l’Ordonnance no 95-06 du 25 janvier 1995 qui relevait de la présidence de la république  a subi une modification législative  par l’ordonnance numéro 03.03  du 19 juillet 2003, mis sous tutelle du chef du gouvernement  mais en réalité d’un simple ministre du commerce, est gelée.

Sous la pression des évènements,  le gouvernement annonce (attendons les actes) leur réactivation. Aussi, au moment  où l’actualité  est dominée par le thème de l’inflation, de la détérioration du pouvoir d‘achat de la majorité avec une désorganisation des marchés, la dominance de la sphère informelle, la concentration du revenu national  au profit d’une minorité rentière, des réserves de change  de plus  de  150 milliards de dollars ( un État riche mais une population pauvre), je propose  de faire une synthèse de l’ordonnance sur la concurrence.

La loi  datant du 2 juillet 2008, modifiant et complétant l’ordonnance N° 03-03 19 juillet 2003 ne modifie  pas l’essentiel puisque bien  que  complétant la loi n°04-02 du 23 juin 2004, obligeant les agents économiques d’établir une facture ou un document en tenant lieu lors de toute vente de biens ou prestation de services effectuée, elle consacre la liberté des prix , mais pouvant « être procédé temporairement  à la fixation, au plafonnement ou à l’homologation des marges ».
 
1- Composition et fonctionnement du conseil de la concurrence      
 
Selon les articles 23/25 , ce conseil  jouissant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière  est  composé de neuf (9) membres dont un président et un vice président exerçant à  plein temps nommés par décret présidentiel, pour une durée de cinq (5) années, renouvelable relevant des catégories deux (2) membres exerçant ou ayant exercé au Conseil d’Etat, à la Cour suprême ou à la Cour des comptes en qualité de magistrat ou de conseiller et de sept (7) membres choisis parmi les personnalités connues pour leur compétence juridique, économique ou en matière de concurrence, de distribution et de consommation, dont un choisi sur proposition du ministre chargé de l’intérieur.

Ils exercent leurs fonctions à plein temps. Selon l’article 27 le Conseil de la concurrence adresse un rapport annuel d’activité à l’instance législative, au Chef du Gouvernement et au ministre chargé du commerce.

Le rapport est rendu public un mois après sa transmission aux autorités visées ci-dessus. Il est publié au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire. Il peut également être publié en totalité ou par extraits sur tout autre support d’information.

Dans ce cadre, le Conseil de la concurrence est chargé notamment de fixer les conditions d’exercice de la concurrence sur le marché ; de prévenir toute pratique restrictive de concurrence ;  et de contrôler les concentrations économiques afin de stimuler l’efficience économique et d’améliorer le bien-être des consommateurs.

Aux articles 36/37 il est précisé  que le  Conseil de la concurrence est consulté sur tout projet de texte réglementaire ayant un lien avec la concurrence ou introduisant des mesures ayant pour effet notamment  de soumettre l’exercice d’une profession ou d’une activité, ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ;d’établir des droits exclusifs dans certaines zones ou activités ; d’instaurer des conditions particulières pour l’exercice d’activités de production, de distribution et de services ; de fixer des pratiques uniformes en matière de conditions de vente.

Ce dispositif relatif à la concurrence a pour souci  d’harmoniser  la législation algérienne avec les normes internationales notamment européennes notamment l’article 41 de l’Accord  d’Association avec l’Union européenne dans son annexe 5 en prohibant notamment  les pratiques et actions concertées, conventions et ententes expresses ou tacites ainsi que les abus de position dominante ou monopolistique sur un  marché ou un segment de marché, ces  pratiques  étant  interdites lorsqu’elles ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence dans un même marché ou dans une partie substantielle de celui-ci. Et en termes plus précis ce – l’abus de l’état de dépendance économique (art. 11) ;  la constitution de monopoles à l’importation par le biais de contrats d’achats exclusifs (art. 10); et la pratique de vente à des prix abusivement bas (art. 12).

Ainsi le Conseil selon la loi doit instaurer, à travers ses articles 40 à 43, un cadre de coopération entre le Conseil de la Concurrence et les autorités étrangères de concurrence, en vue d’assurer la mise en œuvre adéquate des législations nationale et étrangère et de développer entre ces institutions des relations de concertation et d’échange d’information et ce, dans le respect des règles liées à la souveraineté nationale, à l’ordre public et au secret professionnel.

2- Que prévoit la loi en cas de monopole ?

Selon les articles 4 et 5, les prix des biens et services sont librement  déterminés par le jeu de la concurrence. Toutefois, l’Etat peut restreindre le principe général de la liberté des prix temporairement  lorsque les  biens et services  sont  considérés stratégiques par l’Etat pouvant faire l’objet d’une réglementation des prix par décret, après avis du Conseil de la concurrence.

Mais d’une manière générale selon l’article 7 de cette présente loi est prohibé tout abus d’une position dominante ou monopolistique sur un marché ou un segment de marché tendant à limiter l’accès au marché ou l’exercice d’activités commerciales ; contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement ; faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence et subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

S’agissant précisément des concentrations économiques, l’ordonnance  de 2003 avalisée par celle de 2008 précise que les agents économiques doivent notifier à ce Conseil leurs opérations de concentration lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à la concurrence et qu’elles atteignent un seuil de plus de 40% des ventes ou achats à effectuer sur un marché.

Je demande pourquoi le taux est supérieur à 40% pour les produits de première nécessité  détenus par certains  privés algériens et memme40%cela est déjà élevé  alors que sous d’autres cieux cela ne dépasse pas 30%, étant entendu que  pour certains segments stratégiques le monopole seulement public peut être toléré transitoirement ?

C’est dans ce cadre  que la loi seulement  consacre une exception à ce principe en accordant la faculté au Gouvernement d’autoriser, lorsque l’intérêt général le justifie, les concentrations économiques rejetées par le Conseil de la Concurrence à chaque fois que des conditions économiques objectives le justifient.

3- Lois, bureaucratie et pratiques sociales

 
En conclusion deux questions se posent : pourquoi donc l’Etat n’a pas appliqué ses propres lois ? Ce n’est pas  la faute d’un ou de quelques privés mais la responsabilité en incombe à l’Etat qui  n’a pas fait jouer son rôle de régulateur stratégique en économie  de marché véritable qui dot reposer sur la concurrence, existant des jeux de pouvoir, des  liens dialectiques entre la logique rentière et la logique du monopole.

Ce gel favorise le passage d’un monopole public à un monopole privé  surtout pour des produits dont 70% de la population consacre  80% de ses revenus, donc  des enrichissements sans corrélation avec l’effort fourni, monopole beaucoup plus néfaste que le monopole public car la logique de tout secteur privé est le profit maximum et le privé algérien n’échappe pas à cette règle  universelle.

La tentation aussi néfaste serait de vouloir revenir pour ces produits au monopole public qui a démontré son inefficacité.  Dans la pratique des affaires mondiales, les pénalités pour ces rentes se comptent en millions  voire en centaines  de millions de dollars en cas de non respect de la concurrence.

C’est que l’Algérie a les meilleures lois du monde mais les pratiques contredisent ces lois. La mentalité du bureaucrate est de croire  qu’en faisant  de nouvelles lois qui parfois contredisent celles existantes, on résoudra les problèmes de la société algérienne alors que l’essence du mal est le manque de visibilité et de cohérence dans la politique socio-économique de l’Algérie.

Comme le combat de manière administrative de la sphère informelle, l’obligation de paiement par chèque au-delà de 500.000 dinars oubliant qu’existent une intermédiation  financière informelle, de la  non transition du Remdoc, où la traçabilité invoquée existe déjà  au Crédoc, pratique normale sous d’autres cieux mais du fait de la spécificité de l’économie algérienne composée de plus de 90% de petites entreprises à dominance familiales, de la dominance  de la sphère informelle ( avec un monopole informel) renforçant  le passage d’un monopole public à un monopole privé à l’importation  de type spéculatif,  la lutte contre la corruption par plusieurs organes administratifs  alors que cela relève d’une profonde moralisation des institutions.

En fait cela passe par l’instauration d‘un État de droit et à une bonne gouvernance. Et puisque l’on parle du combat contre le monopole économique source de rentes de situation, il faut également combattre le monopole politique mais également social aussi néfaste.  

Professeur Abderrahmane MEBTOUL, économiste

Quitter la version mobile