Depuis le 9 septembre 2024, les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Algérie subissent une nouvelle contrainte, venue des flots cette fois. Le géant mondial du transport maritime, CMA CGM, a décidé d’imposer une Port Congestion Surcharge (PCS) de 150 euros sur chaque conteneur en provenance du nord de l’Europe et à destination de quatre ports algériens. Cette surcharge, conséquence directe de la congestion des ports d’Alger, Béjaïa, Skikda, et Oran, menace d’alourdir encore la facture des importations, avec des répercussions directes sur l’économie algérienne.
Mais comment en est-on arrivé là ? Que révèle cette décision sur l’état des infrastructures portuaires en Algérie ? Et quelles solutions le gouvernement algérien envisage-t-il pour limiter l’impact de cette surcharge sur une économie déjà sous pression ?
Un contexte de congestion portuaire chronique
La décision de CMA CGM de taxer les conteneurs vers les ports algériens ne tombe pas du ciel. Les infrastructures portuaires du pays sont depuis longtemps connues pour leurs dysfonctionnements, avec des navires souvent immobilisés plusieurs jours avant de pouvoir décharger leur cargaison. Ce phénomène de congestion portuaire, qui n’est pas propre à l’Algérie, est pourtant particulièrement aigu dans les ports de la région. À Alger comme à Oran, les quais saturés et les retards dans le traitement des marchandises ont fini par plomber les chaînes d’approvisionnement.
C’est dans ce contexte que CMA CGM, l’un des principaux acteurs du fret maritime mondial, a annoncé une PCS pour compenser les pertes de revenus liées aux délais d’attente. Cette taxe de 150 euros par EVP (équivalent vingt pieds, une unité de mesure standard pour les conteneurs) vise à couvrir les coûts supplémentaires liés à l’immobilisation des navires et des marchandises en raison de l’engorgement des ports.
Pour les entreprises algériennes qui dépendent des importations, cette nouvelle taxe vient s’ajouter à une longue liste de charges, menaçant d’aggraver la situation économique. En effet, l’Algérie importe une grande partie de ses biens de consommation et de ses matières premières d’Europe, notamment de la France, de l’Allemagne, et des Pays-Bas, des pays situés dans le nord de l’Europe, directement concernés par cette PCS.
L’impact sur les importations : des coûts en cascade
Cette surcharge de 150 euros par conteneur pourrait avoir un effet domino sur les prix des produits importés en Algérie. En plus de l’augmentation du coût du transport maritime, les entreprises algériennes devront absorber ces frais supplémentaires, ce qui, inévitablement, se répercutera sur les prix à la consommation. Pour certains secteurs comme l’agroalimentaire, l’électronique ou encore la pharmaceutique, cette augmentation pourrait être significative.
« Nous travaillons déjà avec des marges réduites en raison de la hausse des prix des matières premières et des coûts logistiques », explique Samir Bouzid, directeur d’une société d’import-export basée à Alger. « Cette nouvelle taxe de CMA CGM va certainement affecter nos résultats et, au final, ce sont les consommateurs qui en paieront le prix. »
La surcharge touche également les opérations portuaires elles-mêmes. Un responsable du port d’Alger, qui a souhaité rester anonyme, évoque un cercle vicieux : « Plus les navires attendent, plus les ports s’engorgent. Et plus les ports sont engorgés, plus les coûts augmentent, créant ainsi une spirale inflationniste qui pénalise toute l’économie. »
Des ports débordés, des infrastructures obsolètes
Cette congestion chronique des ports algériens n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, les infrastructures portuaires du pays peinent à suivre le rythme d’une économie qui, malgré les crises, continue de dépendre fortement du commerce extérieur. Les retards dans la modernisation des équipements, la numérisation incomplète des procédures douanières, et un manque de coordination entre les différents acteurs portuaires ont conduit à des goulets d’étranglement qui affectent l’ensemble de la chaîne logistique.
Les ports algériens, en particulier ceux d’Alger et d’Oran, sont souvent décrits comme sous-dimensionnés pour accueillir le volume croissant de conteneurs. Avec des quais saturés et des infrastructures de déchargement vieillissantes, le temps d’attente pour les navires s’allonge, augmentant les coûts de stockage et de manutention.
« L’Algérie dispose de nombreux atouts logistiques avec ses ports stratégiques, mais ces infrastructures sont aujourd’hui dépassées. Il faut des investissements massifs pour répondre aux besoins du marché », confie Karim Benhamida, expert en logistique maritime.
La réponse du gouvernement : numérisation et coordination
Face à cette crise portuaire, le gouvernement algérien tente de réagir. Lors d’une réunion tenue deux jours avant l’annonce de CMA CGM, le Premier ministre, Nadir Larbaoui, a examiné des mesures d’urgence pour fluidifier le traitement des conteneurs dans les ports du pays. Parmi les pistes évoquées figurent la numérisation des procédures et le renforcement de la coordination entre les différents services impliqués dans l’acheminement et le déchargement des marchandises.
Le président Abdelmadjid Tebboune, lors du Conseil des ministres du 2 juin 2024, avait déjà instruit son gouvernement de « réduire la pression sur les ports » et d’assurer un traitement plus rapide des conteneurs pour limiter les effets financiers des longs délais d’attente des navires. Mais ces instructions tardent à se traduire en résultats concrets sur le terrain.
Dans son communiqué, le Premier ministre a mis en avant la nécessité d’une numérisation totale des opérations portuaires, une solution que plusieurs experts réclament depuis des années. La mise en place de plateformes numériques pour le suivi des cargaisons, la gestion des documents douaniers et l’organisation des opérations de déchargement pourrait en effet accélérer considérablement le traitement des marchandises et réduire les temps d’attente.
Les impacts à long terme sur l’économie algérienne
À court terme, la surcharge imposée par CMA CGM pourrait accroître les tensions économiques en Algérie, un pays déjà confronté à une inflation galopante et à des difficultés économiques persistantes. Mais à plus long terme, cette crise portuaire pourrait freiner les ambitions de diversification de l’économie algérienne, qui mise sur des importations stratégiques pour stimuler son industrie locale.
L’Algérie s’est engagée dans plusieurs projets visant à réduire sa dépendance aux hydrocarbures et à développer des industries locales dans des secteurs comme l’agroalimentaire, la métallurgie ou les nouvelles technologies. Cependant, ces secteurs dépendent encore largement des importations de matières premières et d’équipements en provenance d’Europe et d’autres régions du monde. Une augmentation continue des coûts de transport et des taxes pourrait ralentir ces efforts et compromettre la compétitivité de l’industrie algérienne.
Amar Boualem, économiste spécialisé en commerce international, met en garde contre les risques d’un cercle vicieux : « Si les coûts d’importation continuent d’augmenter en raison de la surcharge des ports et des taxes supplémentaires, les entreprises algériennes risquent de perdre en compétitivité sur le marché mondial. Cela pourrait freiner les investissements étrangers et décourager les initiatives locales. »
Des solutions structurelles pour désengorger les ports
La surcharge imposée par CMA CGM met en lumière la nécessité pour l’Algérie de revoir en profondeur sa stratégie portuaire. Si des mesures immédiates comme la numérisation peuvent apporter des améliorations à court terme, des investissements à long terme sont indispensables pour moderniser les infrastructures portuaires du pays.
Plusieurs experts plaident pour la construction de nouveaux ports, mieux adaptés aux volumes croissants de marchandises transitant par l’Algérie. Le projet de Port Centre, situé entre Alger et Boumerdès, pourrait à terme désengorger les ports existants en offrant des installations modernes et une meilleure connectivité régionale. Mais ce projet, bien qu’ambitieux, reste encore à l’état de planification.
Le gouvernement devra également investir dans la formation des équipes portuaires, renforcer la coordination logistique, et mettre en place des partenariats public-privé pour attirer les investissements nécessaires à la modernisation des infrastructures.
une urgence économique nationale
La décision de CMA CGM de taxer les conteneurs à destination de l’Algérie met en lumière un problème structurel qui dépasse la simple gestion des ports. Si la surcharge de 150 euros par conteneur est une réponse immédiate à la congestion portuaire, elle risque de peser lourdement sur l’économie algérienne à moyen et long terme. Le gouvernement, déjà conscient du problème, se doit d’agir rapidement pour éviter que ces taxes supplémentaires ne deviennent la norme.
À l’heure où l’Algérie cherche à renforcer sa souveraineté économique et à diversifier ses sources de revenus, la question de la modernisation des ports et de l’amélioration de la logistique maritime devient une priorité stratégique. La mise en place d’une politique cohérente et d’investissements ciblés pourrait non seulement résoudre les problèmes actuels de congestion, mais aussi offrir à l’Algérie une porte d’entrée vers une croissance économique durable.