Il faut dire ce qu’il en est : La révolution dans son sens le plus noble n’aura pas lieu. Le mouvement de protestation contre le mal-vivre enclenché le 5 janvier 2011 s’est vite transformé en un scénario de pagaille annoncée. Le bilan provisoire est très lourd : Deux morts, 400 blessés et beaucoup d’angoisse. La majorité des Algériens a définitivement lâché le mouvement des jeunes.
La révolte contre l’absence de perspective et la flambée des prix a cédé place aux organisations criminelles qui investissent la rue en pillant, volant et saccageant aussi bien les citoyens que les équipements publics.
Des milliers de postes d’emploi ont été détruits. Des bureaux de poste, des annexes communales, des antennes administratifs, des showrooms de concessionnaires et des usines ont été complètement détruits par des manifestants en furie.
On aura beau remettre en cause la politique très fermée du Pouvoir, il n’en demeure pas moins que rien n’explique les attaques contre les bus des étudiants et les épiceries des citoyens, encore moins contre un bureau de poste qu’on sollicitera demain pour retirer, si on le peut, nos salaires miséreux.
A Djelfa, j’ai vu des jeunes s’attaquer à un kiosque de tabac! Le propriétaire a failli perdre la tête en voyant la scène. «Ana âllah, ana âllah (pourquoi moi, pourquoi moi)» s’écriait-il en tétanisé. Des enfants étaient présents parmi les manifestants. Au risque de me répéter, la scène m’a choqué : Des enfants de dix ans, munis de barres de fer venus pour casser. «Que fais-tu là ya tfol (mon fils)?», demandais-je à l’un d’eux. «Rani jay nharas ana tani (je viens pour casser moi aussi)» me répondais-t-il!
C’est ça la révolte? Avec du recul, ce mouvement n’est pas, à mes yeux, moins violents que toutes les inepties du Pouvoir. Manipulation ou pas, on a atteint là le paroxysme du sous-développement. Un ami d’Alger me témoigne que les gens sont épuisés. Fatigués d’être angoissés par les bombe lacrymogène des policiers et les menaces des voyous voleurs.
«Le gens ont peur que l’anarchie règne. Le sentiment de sécurité, déjà bien précaire, les a définitivement quitté» me dit-il. Un policier me témoigne : «On est fatigué. On ne dort pas, ne mange pas et on est dépassé par les événements. Je suis épuisés, j’ai peur de commettre une bavure».
Nos confrères journalistes ne se sentent pas mieux : «J’en ai marre de suivre à longueur de journée les informations d’émeutes ça et là. De galérer dans les Urgences et dans les Commissariat pour obtenir une info potable. J’en ai assez de risquer ma vie au milieu de kwala (voyous) qui peuvent t’attaquer à n’importe quel moment».
Il arrive un moment où il faut abandonner sa langue de bois et voir les choses tel qu’elles se présentent. J’ai souvent couvert des émeutes mais jamais comme celle-là. Ce que j’ai vu, ce sont des jeunes repris de justice qui s’attaquent aux biens des citoyens et qui utilisent des enfants comme pare-feu.
Ce que j’ai vu, ce sont d’honnêtes Algériens et Algériennes déprimés les visages pâles de peur. Ce que j’ai vu, ce sont des policiers angoissés par la situation, qui comprennent le fond de la révolte mais qui restent pantois devant la tournure des choses. J’ai vu des casseurs et des voleurs, pas des contestataires ni des démunis qui ont faim. C’est un témoignage sans complaisance mais sincère. Il faut absolument arrêter ce massacre.
Ali B.