La très populaire émission matinale de la radio tunisienne Mosaïque FM, « Seyess Khouk », a été frappée par la censure samedi, sous la pression de cinq députés algériens, qui n’ont pas apprécié un sketch sur la réélection d’Abdelaziz Bouteflika. Ce matin, les animateurs tunisiens de l’émission récidivent.
L’élection présidentielle algérienne et surtout la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, dans un fauteuil, avec plus de 80% des voix exprimées, inspirent les humoristes tunisiens. Vendredi, le lendemain du scrutin du 17 avril, qui a vu la facile victoire du Président sortant, l’émission satirique « Seyess Khouk », diffusée tous les matins à 7 H45 sur la radio tunisienne Mosaïque FM, était consacrée au rendez-vous électoral algérien. Piquant et hilarant, le sketch ironise sur un scrutin joué d’avance et remporté par un Président malade.
Censurée
Dans cet extrait, l’animateur tunisien imite la voix de Hafid Deradji pour commenter l’élection présidentielle algérienne comme un match de football. « Nous sommes en direct live du 5 juillet. On a le premier attaquant qui arrive sur sa carrosse […] Ce jeune joueur est en excellent état de santé, il ne souffre d’aucune maladie », plaisante l’animateur de radio tunisien, faisant référence au Président-candidat Abdelaziz Bouteflika, venu voter le 17 avril dernier en chaise roulante. Plus mordant, il attaque : « On rappelle que Bouteflika a déjà joué dans l’équipe « Dictatoria », dans laquelle il y avait le défenseur tunisien Ben Ali, l’attaquant égyptien Hosni Moubarak et aussi Kaddafi, celui qui est mort dans une autre rencontre. Tous ces joueurs ont déjà joué avec Bouteflika mais l’entraîneur Barack Obama n’a gardé que Bouteflika ». A 77 ans, le Président algérien, qui entame un 4è mandat consécutif, est effectivement le seul rescapé des dirigeants maghrébins, emportés par le Printemps arabe.
Si le sketch a amusé les auditeurs de Mosaïque FM, le clan présidentiel a, de son côté, rie jaune. Cinq députés algériens ont même saisi le ministre algérien de la Communication, Abdelkader Messahel, afin que ce dernier demande à son homologue tunisien de retirer l’émission du 18 avril du site Internet de la radio. Lundi, le propriétaire de la radio s’est exécuté : plus de podcast de l’émission du 18 avril disponible. « Cette rubrique est surtout écoutée sur Internet alors si on supprime le podcast c’est fini », souligne Bassam Bounenni, un confrère journaliste tunisien, joint par téléphone.
En Tunisie, la censure de la radio Mosaïque FM sous la pression d’un groupe de parlementaires algériens fait tache. « L’animateur a l’habitude de taper sur tout le monde chez nous, le Président Marzouki, le parti Ennahda, l’opposition. Il peut être vraiment très virulent. Là ce n’était pas spécialement méchant », explique Bassam Bounenni, qui s’étonne encore que la station tunisienne ait accepté de se censurer. Il voit d’ailleurs dans cette censure un recul de la liberté de ton et d’expression. « Il y a dix ans c’était tabou de parler d’Algérie pendant le terrorisme en Tunisie. On a presque l’impression que ce tabou revient », regrette-t-il.
De son côté, la direction de Mosaïque FM a voulu calmer le jeu. Dans un communiqué publié mardi sur son site internet, elle s’explique :
Suite à la polémique suscitée par le retrait du podcast « Seyes Khouk » de vendredi 18 avril, relatif aux élections d’Algérie, Mosaique FM informe ses internautes qu’il ne s’agit en aucun cas de censure, sachant que la rubrique avait été diffusée et mise en ligne pendant plusieurs jours.
Cependant, suite à de multiples protestations, notre médiateur Hédi Snoussi a décidé de retirer le podcast du site de Mosaïque FM.
La réplique
Mais il en fallait plus pour arrêter les trublions aux commandes de « Seyess Khouk ». Les animateurs ont effectivement répondu à la censure qu’ils ont subie par un nouveau sketch, diffusé ce mercredi matin sur les ondes.
Dans une conversation téléphonique factice avec le Président Abdelaziz Bouteflika, l’animateur félicite le chef de l’Etat pour sa réélection : « Vendredi j’ai fait une émission et j’ai parlé des élections. Je t’ai félicité malgré que tu ne sois pas en bonne santé. Tu mérites tes 83% ». Le faux Abdelaziz Bouteflika, surpris, réplique : « De quelle élection tu parles? Quoi moi j’ai gagné les élections en Algérie et c’est de ta bouche que je l’apprends… » C’est sûr, l’élection présidentielle algérienne n’a pas fini d’amuser la galerie.