La chronique diffusée samedi 18 janvier sur Canal+, où le comique suisse Gaspard Proust évoque, avec humour, l’hospitalisation au Val-de-Grâce du président Bouteflika, a provoqué beaucoup de colère chez certains, criant à l’insulte et à la moquerie mesquine. Une réaction démesurée, qui laisse penser que les Algériens ont perdu le goût de rire de tout et surtout d’eux-mêmes. Dommage.
« Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas ». Et bien non, parfois il faut en débattre, surtout lorsqu’il s’agit de calmer le jeu, de tempérer une polémique qui n’a vraiment pas lieu d’être. Bien sûr, on peut comprendre qu’un certain public reste impassible devant tels traits d’humour, tels jeux de mots, tels comiques de situation ou de répétition. Mais de l’indifférence à la haine, il y a un pas de géant, que l’on souhaiterait parfois que certains ne franchissent pas.
Et pourtant, samedi 18 janvier, une partie des téléspectateurs de Canal+ s’en est donnée à cœur joie, se vautrant dans la vulgarité la plus basse, la critique obscène la plus débile. Mais ont-ils seulement eu la présence d’esprit de décrypter le message ironique de Gaspard Proust ? L’intelligence de comprendre le sens même de la chronique qu’ils regardaient ? Ce samedi soir, dans l’émission « Salut les terriens », présentée par Thierry Ardisson, et diffusée sur la chaîne cryptée, Gaspard Proust décide de croquer l’actualité algérienne au cours de sa chronique « Elle est pas belle la vie ». Un billet d’humeur, plein d’humour. Un humour certes corrosif, teinté d’un profond cynisme. Mais de l’humour quand même.
Ce samedi soir-là, le président Abdelaziz Bouteflika se trouve en Algérie, après un séjour médical à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris, pour un « contrôle routinier », selon les sources officielles. Une seconde hospitalisation en France, en l’espace de 9 mois, du chef d’Etat algérien, qui inspire l’humoriste, étoile montante sur la place de Paris. « Bouteflika hospitalisé au Val-de-Grâce, qu’est-ce qui lui est arrivé ? Il a fait une chute de ski à Meribel ? », commence Gaspard Proust, dans une référence subtile à l’hospitalisation d’une autre personnalité publique. En l’occurrence le champion de F1 Michael Schumacher, victime d’un accident sur les pentes alpines fin décembre, et longtemps plongé dans le coma. Sur le plateau de télévision, on rit. Sur les réseaux sociaux, quelques heures à peine après la diffusion de la vidéo, on s’agite. Des médias algériens se font le relais de cette bulle d’agitation. Et pourtant, non, Gaspard Proust n’est pas un ingrat. Il ne se moque là ni de l’un, ni de l’autre, contrairement à ce que beaucoup ont commenté, de façon virulente, sur les réseaux sociaux ou dans les médias algériens, prenant à la lettre les propos de Proust.
La chronique de Gaspard Proust n’aurait pas provoqué un tel tollé en Algérie, si elle n’avait pas abordé l’épineux chapitre de la colonisation. « Qu’il soit venu se soigner en France, c’est quand même l’aveu qu’on a eu la colonisation un peu mesquine: non, mais c’est pas que notre faute, s’ils avaient été un peu moins obnubilés par leur désir d’indépendance, en plus des routes et des égouts, on aurait pu laisser un système de santé qui marche!…C’est une idée », lâche sur un ton sarcastique, qui lui est propre, cet ancien gestionnaire de fortune, converti au one-man-show. La réponse des internautes algériens est cinglante, taxant le comique de racisme, de xénophobie et d’être un nostalgique de l’Algérie française. Une surenchère d’attaques personnelles, plus grossières les unes que les autres, qui laissent penser que ces internautes algériens sont passés à côté, qu’ils n’ont pas su lire entre les lignes. Ou bien, par réflexe paranoïaque, ils ont sciemment déformé le sens des mots de Proust. Comme si, un humoriste étranger, qui plaisante au sujet de l’Algérie, le fait nécessairement aux dépends du peuple algérien, pour le rabaisser et piétiner son histoire. Moins qu’une offense à l’Algérie, il fallait y voir une attaque fine et acerbe de l’ère coloniale. Mais depuis quand faut-il traduire les blagues ?
L’impertinence de Gaspard Proust n’est jamais, qu’on se le dise, irrévérencieuse. Encore moins quand il s’agit du pays où il a grandi, fréquentant les bancs d’une école primaire du quartier d’Hydra, à Alger. Et c’est de la plus belle manière que l’humoriste a répondu à ses contradicteurs. Par le rire et le raffinement. Le jeune artiste a ainsi consacré les premières minutes de sa chronique, diffusée samedi 25 janvier sur Canal+, pour éteindre le feu d’une polémique ridicule. « J’aimerais remercier les Algériens pour tous les messages de soutien, que j’ai reçus, suite à ma blague sur l’hospitalisation de son excellence Abdelaziz Boutef-flic … heu … ça fait chaud au cœur, tous ces encouragements type « espèce de connard », « enculé », « t’es un raciste » et autres douceurs verbales. Bien sûr j’aimerais présenter mes excuses, c’était de l’ironie », s’explique Gaspard Proust, avant de titiller à nouveau : « Il est clair que si Bouteflika s’est fait soigner en France c’est pas parce qu’il y a pas d’hôpitaux adaptés en Algérie, non. C’était juste pour donner à la maladie une chance de s’en sortir ». Espérons que la semaine prochaine, le chroniqueur n’ait pas à ressortir son dictionnaire pour traduire son humour aux esprits étriqués.
VIDÉO. La chronique « Elle est pas belle la vie » de Gaspard Proust, diffusée samedi 18 janvier sur Canal + :
http://www.youtube.com/watch?v=GBcFMrB4y_Q