Google dit stop au contrat business contre censure

Redaction

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Un homme dépose des fleurs devant le siège de Google Chine
Un homme dépose des fleurs devant le siège de Google Chine
Le moteur de recherche californien, numéro 2 sur le marché chinois, a décidé de cesser d’accepter un compromis qui permet à beaucoup d’autres de faire de belles affaires en Chine sans trop se poser de questions.

Google a mis les pieds dans le plat. Plutôt que de se détourner d’un débat qui concerne nombre de firmes internationales désireuses de faire des affaires en Chine, le premier moteur de recherche mondial s’attaque au problème de front. Suite à des attaques sur ses serveurs et à des tentatives d’accès à des données personnelles de dissidents sur des comptes Gmail, Google a décidé d’entrer dans le vif du sujet sur son blog, remettant ainsi en question sa présence en Chine:

« Nous avons franchi le pas, inhabituel, de partager les informations concernant ces attaques avec un large public pas seulement pour les implications en termes de sécurité et de droits de l’homme de ce que nous venons de déterrer, mais également parce que ces informations touchent au coeur d’un débat beaucoup plus large sur la liberté d’expression dans le monde. Au cours des deux dernières décennies, le programme de réformes économiques de la Chine et le sens des affaires de ses citoyens ont sorti des centaines de millions de Chinois de la pauvreté. De fait, cette grande nation est au centre du progrès et du développement économique dans le monde aujourd’hui. ».

Partant de ce constat, Google explique le dilemme auquel il a été confronté en lançant la version chinoise de son moteur de recherche:

« Nous avons lancé Google.cn en janvier 2006 avec l’idée que le bénéfice d’un accès accru à l’information pour les Chinois et d’un Internet plus ouvert dépassait notre malaise de devoir censurer certains résultats. A ce moment, nous avions clairement dit que « nous (observerions) de près le contexte en Chine, notamment les nouvelles lois et autres restrictions sur nos services. Si nous déterminons que nous sommes incapables d’atteindre les objectifs définis, nous n’hésiterons pas à reconsidérer notre approche de la Chine. »

Google, dont le moteur de recherche a subi des hauts et des bas au cours de l’été dernier et dont le site de vidéos en ligne Youtube est bloqué depuis l’année dernières, fait pour une fois un constat que seules les ONG des droits de l’Homme et quelques gouvernements font ouvertement: la liberté d’expression n’a pas progressé mais régressé en Chine ces derniers temps. Il est intéressant de constater que Google lance ce pavé dans la mare à l’heure où certains gouvernements occidentaux et la majorité des entreprises se taisent sur les sujets sensibles par crainte de perdre des parts d’un marché porteur.

« Ces attaques et la surveillance qu’elles ont mis en lumière – combinées aux tentatives visant à limiter un peu plus la liberté d’expression sur le web – nous ont amenés à conclure que nous devrions revoir la faisabilité de nos opérations en Chine » explique le groupe sur le blog.

Google se dit ainsi prêt à quitter la Chine s’il n’est pas autorisé à cesser la censure. L’approche est tout à fait inédite pour une firme occidentale sur le web. En 2008, face aux critiques Yahoo, Google et Microsoft adoptaient un code de conduite dans les pays pratiquant la censure. Il n’était alors pas question de se retirer de pays tels que la Chine mais simplement de ne livrer des informations privées sur les internautes aux gouvernement concernés que lorsque ces derniers en feraient formellement la demande. Il s’agissait plus de se racheter une conduite après, par exemple, que Yahoo eût livré au gouvernement des informations permettant aux autorités chinoises d’arrêter Shi Tao, un journaliste dissident.

Cette fois-ci, Google pose la vraie question: quel prix est-on prêt à payer pour les plus de 300 millions d’internautes chinois. Certes Google a moins à perdre en Chine qu’ailleurs. Il est loin derrière Baidu, un concurrent Made in China qui accepte sans rechigner le contrat business contre censure proposé par Pékin et qui, selon Analysis International, effectue 63,9% des recherches sur le web en Chine continentale. Le premier terme recherché sur Google par les Chinois est d’ailleurs « Baidu ». Cela revient néanmoins à s’aliéner un marché d’avenir.

Google laisse toutefois la responsabilité de son probable départ de Chine aux autorités locales: libre à elles d’ouvrir les vannes de l’info.

Reste à savoir quelle sera l’attitude de la Chine. De son gouvernement, mais aussi de sa population, dont l’opinion devrait être au centre du débat.

Côté gouvernement, il est probable qu’un tel ultimatum suivi d’une protestation du gouvernement américain, ne ravisse pas à Zhong Nan Hai, siège du pouvoir chinois. Les autorités auront du mal à tolérer un tel affront, venant d’une firme incarnant la présence américaine à travers le monde. Il y a peu de chances que cette annonce lui permette de se remettre en cause sur la liberté d’expression.

Quant aux Chinois, qui donnent de plus en plus leur opinion sur les forums, preuve que l’Internet est malgré tout un outil d’ouverture, que pensent-ils ?

Ils ont une propension à s’insurger contre les Occidentaux qui critiquent leur pays autant qu’ils se méfient des officiels et des raisons qui les poussent à saper la liberté d’expression.

Sur le populaire forum Tianya, un internaute, Fo Ha Yo fait preuve de pragmatisme : « Sur mon ordinateur, j’ai déjà installé de 6 à 10 logiciels permettant d’accéder aux sites bloqués », tandis que Zhu Yi Zhi prend les choses avec humour: « Je vais déménager, je vais suivre Google ou Google est présent ».

Un autre, surnommé I.D., leur répond:

« Youtube, Facebook, Twitter, Blogger, WordPress, Google,… Ce sont les meilleurs sites du net mais ils disparaissent. Pour les Chinois, c’est très dommage. Lee Yan Hong, créateur de Baidu, disait que dans 5 ans les Chinois ne verraient plus Google en Chine. Je le crois, mais je ne souhaite pas que Google quitte la Chine de cette manière. La concurrence est une bonne chose, surtout pour les internautes. »

Soulignant que Google n’y comprend pas grand chose à la politique et au régime chinois, il estime que la firme « vient de mettre le doigt dans la prise » et poursuit:

« A mon avis, Google ne quittera pas la Chine, sinon il perdra beaucoup ».

Le 13/1/2010
par Harold Thibault (Aujourd’hui la Chine)

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