Presse en Algérie : la liberté passe par le Net

Redaction

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En Algérie, la presse écrite est libre… mais pas trop. Les journaux électroniques, qui profitent d’un espace de liberté sur Internet, sont-ils la panacée ?

«Nous avons la presse la plus libre du monde arabe». C’est ce que dit le pouvoir aux visiteurs VIP de la molle dictature algérienne. Et c’est vrai: la censure y est économique et pas bête et méchante; les journalistes ne sont pas censurés mais s’autocensurent; les annonceurs sont libres mais ont peur du pouvoir et de son fisc; et les lecteurs sont nombreux mais ne font pas l’opinion qui pèse. Dans ce paysage, un nouvel acteur non encore contrôlé: les journaux électroniques.

La presse libre algérienne sert d’alibi —tout le monde a fini par l’admettre. Née de l’élan des années 90 et ayant survécu aux terrorismes, comme aux «bureaux de lecture» des années 90 lors de la guerre civile algérienne entre éradicateurs du pouvoir et islamistes du FIS, la presse algérienne dite «indépendante» a fini en blason et en mannequin. On la montre pour dire que le pays est libre et démocratique.

Libre, mais juste ce qu’il faut: s’y isolent un peu les libéraux, les démocrates, les progressistes et les opposants. Enfin, tout le peuple de la minorité qui conteste mais ne pèse pas face à la majorité qui vote ou applaudit le pouvoir et ses fraudes électorales.
Des médias libres, mais pas trop

Plus malin qu’autrefois, ce dernier a fini par trouver la bonne formule pour régenter le paysage médiatique algérien: garder le monopole sur le média lourd —la télévision d’État, encore très stalinienne—, sur les radios de proximité —encore de propagande— et concéder des marges de liberté pour le reste —journaux francophones ou arabophones dits «indépendants».

Au sein de la famille indépendante, on a aussi pensé à des verrous: émietter un peu le lectorat en laissant se créer des publications sans vente (le fameux agrément dépend encore du pouvoir occulte et non d’instances identifiées), nourries artificiellement par l’argent de l’annonceur public et par d’autres gros clients, dont on conseille un peu la ventilation des enveloppes (opérateurs de téléphonie surtout, concessionnaires de véhicules et autres grosses sociétés du patronat privé).

Cela donne un paysage où la presse est libre, mais pas trop: on peut menacer les annonceurs qui la font vivre, lui voler des parts de marché via des journaux affidés au pouvoir et nourris par des subventions ou des gratuités dans les imprimeries de l’État, et on peu la contrecarrer par des journaux à large diffusion, comme Echourouk, porte-voix officieux des conservateurs locaux et habile vendeur du trio de choc —sexe, religion et diffamation— avec un million d’exemplaires écoulés chaque jour, selon ses propriétaires.
La panacée électronique?

Dans ce paysage émergent cependant, de nouveaux acteurs moins contrôlables font surface. Les journaux électroniques, portés d’abord par la généralisation de l’accès à Internet et par des promoteurs indépendants, souvent installés en France et donc sans fil à la patte. Depuis quelques années, l’offre électronique s’élargit en Algérie. Elle profite d’Internet, mais aussi des faiblesses de la presse papier, soumise par le pouvoir, limitée dans ses audaces par les annonceurs et déjà piégée par la culture de l’autocensure de prévention.

Parmi eux, Tout sur l’Algérie (TSA) reste leader. Lancé dès juin 2007, il a fait du chemin jusqu’à s’imposer comme première référence et comme source, rarement citée d’ailleurs, des scoops sur l’Algérie.

« Il y a plusieurs types de médias électroniques. Il ne faut pas confondre les blogs anonymes et les sites d’information. Dans le cas de TSA, nous nous positionnons clairement comme un « quotidien électronique, avec ce que cela suppose comme responsabilité en matière éditoriale.

Nous sommes édités par une société identifiée et immatriculée au registre du commerce. Nous fonctionnons donc comme un média classique: vérifier l’information, éviter la diffamation…»« , explique son fondateur Lounes Guemache.

Le journal se fait même exploiter par ses aînés «papier», sans vergogne:

«Il nous arrive parfois de révéler des informations en exclusivité. Le lendemain, ou quelques jours plus tard, on les retrouve dans la presse écrite nationale, sans aucune référence à la source. Mais pas seulement dans la presse nationale.

Récemment, le journal Afrique Asie a copié intégralement deux papiers de TSA consacrés aux réserves de change et aux résultats de Sonatrach. Le lendemain, la presse algérienne a repris en citant… Afrique Asie. Nous avons saisi par mail la direction d’Afrique Asie pour signaler ce dérapage et elle n’a même pas répondu!»

Liberté online

Si l’on résume, donc, les journaux électroniques algériens semblent plus libres de ton, moins contraints à l’autocensure et donnent des informations plus audacieuses que la presse écrite algérienne. Comment s’explique cette liberté que le papier semble avoir perdue? Réponse de Guemache:

«L’Internet est d’abord un espace de liberté. Il est perçu ainsi à la fois par les acteurs et par les utilisateurs. Il serait donc paradoxal de vouloir être un acteur sur Internet et de s’imposer dans le même temps une forme d’autocensure. Ensuite, contrairement à la presse papier, les lecteurs des médias online ont l’embarras du choix. Ils ont tout à portée de clic et très souvent gratuitement.

Dans le cas de l’Algérie, tous les contenus sur Internet sont accessibles gratuitement, y compris les éditions en PDF des quotidiens. Les lecteurs peuvent donc choisir ce qu’ils lisent. Enfin, contrairement à la presse écrite, dans le cas de la presse Internet toute censure ou autre dérapage est immédiatement dénoncé sur les forums. La sanction est immédiate».

Gratuité = liberté

L’autre raison de cette indépendance est que les journaux électroniques sont encore plutôt indépendants financièrement —la pauvreté faisant un peu l’honnêteté:

«Nous avons un modèle économique qui ressemble beaucoup à celui de la presse écrite en Algérie. L’essentiel de nos revenus provient de la publicité. Nous existons depuis juin 2007, mais nous avons dû attendre le milieu de l’année 2010 pour voir les annonceurs venir progressivement vers nous.

TSA n’est adossé à aucun groupe ni actionnaire puissant. Nous dépendons donc de la publicité pour continuer à faire notre travail dans de bonnes conditions. Pour l’instant, nous ne subissons aucune pression particulière de la part des annonceurs. Je pense qu’il faut relativiser la puissance de l’argent en Algérie. Ailleurs, dans les grandes démocraties, les annonceurs ont un poids beaucoup plus important.

D’abord, les sommes en jeu pour les médias sont très importantes (des milliards de dollars), ce qui n’est pas le cas en Algérie, où le marché publicitaire reste très modeste —surtout sur Internet. Ensuite, ailleurs, l’argent peut peser sérieusement sur les décisions politiques. En Algérie, comme le montrent les dernières lois de finances, les milieux d’affaires et politiques sont presque déconnectés. Les décideurs politiques sont souvent inamovibles et plus puissants que les milieux économiques».

Et les pressions politiques ?

«Concernant les pressions politiques, je pense que les choses ont beaucoup évolué dans le bon sens depuis le printemps arabe. Mais à TSA, vous pouvez consulter nos archives, nous avons toujours gardé notre liberté de ton. Je vous rappelle par exemple qu’en février 2009, à deux mois de la présidentielle, alors que très peu de personnes osaient parler du président Bouteflika, nous avons été les premiers à avoir révélé son intention d’introniser son frère Saïd pour sa succession.»

Pas de censure, car peu d’annonceurs et peu d’intérêts ou enjeux. La pub reste maigre pour ces journaux, malgré les promesses. La tendance peut cependant s’inverser, estime selon le fondateur de TSA:

«Avec le développement de l’Internet à haut débit, le nombre de lecteurs va augmenter. Les habitudes de consommation de l’information changent aussi. Les lecteurs ne veulent plus attendre le lendemain pour l’information de la veille. L’Algérie ne peut pas échapper à cette tendance. Les annonceurs algériens commencent à faire des arbitrages en faveur de l’Internet. Je pense que les choses vont s’accélérer dans les prochains mois.»

L’analyse sur l’état de ces nouveaux concurrents de la fameuse presse algérienne ne fait cependant pas l’unanimité chez d’autres sites phares qui émergent. Pour le fondateur d’Algérie FOCUS, le jeune Faycal Anseur, les journaux électroniques sont plus «libres» et audacieux grâce au Net, mais ils ne sont pas encore «admis»:

«La raison qui expliquerait cette « audace » est, à mon avis, le support lui-même, c’est-à-dire Internet, l’un des derniers bastions de la liberté d’expression dans le monde —et pas qu’en Algérie. Sur Internet, le journaliste peut avoir cette prétention de ne rendre compte qu’à ses lecteurs, en toute conscience professionnelle. Contrairement à la presse écrite, où l’argent et/ou les pressions ont réussi à « policer » les plumes de certains journaux, sur le Net les tricheurs ne font pas long feu», analyse-t-il.

«Il arrive que des journaux électroniques osent parfois aborder certains sujets « tabous » et les journaux papier sont obligés dans ce cas de suivre pour survivre. Si souvent ils ne citent pas leur source, c’est qu’ils ne veulent pas perdre la face devant leurs lecteurs, j’imagine. C’est une entorse à la déontologie, mais ils n’en ont cure du moment qu’ils gardent, sans contradicteur, le monopole sur le marché de la presse écrite.»

Les annonceurs craignent le pouvoir

Les e-journaux dérangent justement parce qu’on ne peut en contrôler ni le moyen de diffusion, ni les finances.

«Les seules pressions que nous subissons, c’est justement l’absence d’annonceurs. Nous les avons pourtant presque tous contactés, nous leur avons présenté notre audience et nos atouts dans l’espoir de décrocher un partenariat. En vain», raconte Fayçal Anseur.

«Alors de deux choses l’une: soit ces annonceurs ne sont pas intéressés par la promo sur Internet —ce qui n’est pas vrai, puisque d’autres sites, pas plus performants que le nôtre arborent leurs bannières—, soit notre journal ne répond pas à leurs critères, qui selon toute vraisemblance ne sont pas d’ordre professionnel, mais plutôt politique. J’ai l’impression qu’on essaie de reproduire sur Internet le même schéma de contrôle de la presse écrite par le chantage à la pub.»

Les e-journaux algériens sont donc de plus en plus lus, mais cela ne leur rapporte pas grand-chose. Selon le fondateur de FOCUS Algérie, «les trois modèles classiques utilisés sur Internet pour rentabiliser un journal électronique sont: la facturation de bannières publicitaires, l’installation d’un système d’abonnement et les dons des lecteurs… Dans le cas algérien, les modèles 2 et 3 ne sont pas porteurs pour l’instant (pas de carte de crédit permettant des abonnements en ligne ou faire des dons). Il ne reste donc que les annonceurs, et en dernier recours celui qui les contrôle —en l’occurrence le pouvoir algérien.»

Cet étranglement par les annonceurs, le fondateur d’un autre journal électronique algérien de référence, Dernière Nouvelles d’Algérie (DNA), le confirme. Interrogé, Farid Alilat explique:

«À DNA, nous n’avons aucune tutelle… Nous ne sommes pas chaperonnés par des officines du pouvoir et nous estimons que toutes les informations sont bonnes à être publiées pour peu qu’elles soient vérifiées, recoupées. Je vais vous faire un aveu: de nombreux annonceurs que nous avons contactés avouent être des lecteurs assidus de DNA, mais refusent poliment de nous donner de la publicité parce qu’ils craignent d’être rappelés à l’ordre, de subir la visite des services des impôts.»

Même son de cloche chez cet ancien journaliste de Liberté, l’un des plus gros tirages papier algériens:

«L’idée même, en ce qui concerne DNA, de lancer un média électronique est d’offrir au lecteur une autre manière de faire du journalisme […] Je crois aussi que la presse algérienne s’est installée depuis quelques années dans la facilité, que certains titres sont devenus des entreprises commerciales davantage intéressées par l’argent que par le souci de l’information».

Un bref printemps de la presse

«Descendant» indépendant de la presse écrite, le fondateur de DNA évite le procès de la presse écrite algérienne et semble opter pour le bon voisinage.

«Je ne crois pas qu’on puisse opposer la presse écrite à la presse dite « électronique ». Les deux médias peuvent coexister parfaitement. Cela dit, les journaux publiés sur le Web apportent la fraîcheur, la rapidité et la liberté qui manquent aux journaux édités sur papier

La preuve? Une multiplication des sites: Algérie 360°, Algerienetwork… Et première en Algérie: depuis un mois, un journal papier, la Nouvelle République, est devenu le premier quotidien francophone à avoir lancé son application mobile. Une version Android il y a un mois, en attendant celle pour iPhone.

Le printemps semble être bref cependant. A lire le nouveau projet de loi sur l’information qui doit être soumis au gouvernement avant la fin août, Internet est déjà ciblé: les nouveaux journaux électroniques doivent demander un agrément assorti d’une autorisation.

Comment va faire le gouvernement «pour instaurer ce système d’agrément qu’aucun autre pays —y compris la puissante Chine— n’a réussi à mettre en place? Va‑t‑il demander à Google, Yahoo, Facebook, Twitter… un agrément pour les autoriser à être consultés en Algérie? Ou va‑t‑il se contenter de cibler quelques publications algériennes qui n’ont pas les moyens et les protections de ces géants de l’Internet?», s’interroge un journaliste algérien sur TSA.

En attendant le nouveau code de l’information imposé par le printemps arabe, le verdict est sévère sur la presse écrite. L’un des plus vieux partis d’opposition algérien, le FFS, en fera sa dernière table ronde publique. On y parlera de trabendisme, lutte d’influences malsaines, de régressions, d’autocensure généralisée, de sous-professionnalisme, d’affiliation aux «Services» de la police politique algérienne, etc.

Selon El Watan, une première étude d’évaluation de la presse algérienne réalisée par des experts et intitulée «Baromètre africain des médias (2009)» a été plus que sévère.

«A l’issue de cette étude, les spécialistes ont attribué des notes catastrophiques, ne dépassant pas 2,5/5, à la presse algérienne. La notation portait sur plusieurs critères, dont l’étique et la déontologie, l’exactitude de l’information, l’impartialité dans le traitement de l’information, la formation des journalistes et l’autocensure et le syndicalisme. Selon lui, à cause d’une formation professionnelle « généralement insuffisante »».

Kamel Daoud

Source : slateafrique.com

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