Qui n’a pas flâné entre les colonnes romaines surplombant la mer ? Qui n’a pas été intrigué par le Mausolée royal de la Maurétanie ? Ces vestiges qui font partie du patrimoine algérien sont des lieux très visités, et pourtant leur histoire si marquante et riche est loin d’être connue par tous.
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Les ruines romaines ont traversé les siècles mais ont gardé, gravé dans la pierre, l’histoire de l’Algérie. Elles ne restent malheureusement que des amas de pierres pour de nombreux visiteurs, alors qu’elles recèlent des trésors. Il suffit de tendre l’oreille et l’on croit encore entendre les débats politiques qui ont animé, jadis, l’ancien forum des vestiges romains de Tipaza ville, à quelques mètres d’une eau turquoise. Quelques restes de murs tracent encore les pièces de ce qui fut, sans doute, une somptueuse maison à l’époque romaine… Un peu plus loin se dresse une mystérieuse tombe, le Mausolée royal, surnommé le tombeau de la Chrétienne, ou en arabe Kbour-er-Roumia, une forteresse de pierre, qui garde le secret impénétrable d’un amour historique. Et pourtant, les nombreux couples qui se baladent autour de ce symbole, ne semblent pas touchés par l’aura de ce monument qui fut classé patrimoine mondial de l’Unesco. « Nous venons nous aérer, nous promener, mais pas forcément pour ce tombeau », explique une femme avec son mari, habituée à venir visiter les lieux. Alors qu’un autre couple, Hamza et Roufaïda, qui vient seulement pour la deuxième fois s’émerveille de la construction imposante mais avoue ne rien connaître à l’histoire de cette femme qui fut enterrée par son bien-aimé. Pourquoi parcourir des kilomètres pour ne retenir de ces lieux à l’histoire séculaire qu’une belle vue sur la mer ?
Le patrimoine historique ? Pourquoi faire ?
Les ruines de Tipaza ne sont que le reflet de tout un patrimoine visité et ignoré à la fois. Des monuments, des ruines, des sites historiques parviennent tant que bien que mal à exister. La mise en valeur de ces richesses n’est pas une priorité de l’Etat algérien. Quelques sites restent encore entretenus mais la mise en valeur de ces lieux semble être superflue en Algérie. Des touristes français rencontrés à Tipaza ville, sont d’ailleurs étonnés. « Le lieu a un charme fou, il a une aura, on ressent l’histoire, mais je regrette qu’il manque un aspect pédagogique sur ce site », déplore Hakim qui découvre pour la première ces ruines romaines si connues. Alors que pour David, «ce lieu a tellement été évoqué dans les livres, par de nombreux auteurs, que finalement ce n’est plus nécessaire ». Evoqué, il l’a été, mais surtout dans la littérature étrangère. Ce site tant vanté par Camus, est finalement méconnu par les Algériens qui se prélassent pourtant tous les weekends sous le soleil de Tipaza. Il faut dire que la plupart des visiteurs ne tient pas à en savoir plus. Ils sont peu à demander des informations sur les lieux qu’ils visitent, ils regardent mais n’apprennent pas. Un groupe d’étudiantes profite du soleil et de la mer. Elles ne savent même pas qu’elles sont assises sur les restes d’une Basilique datant du Ve siècle après Jésus-Christ, et ne s’en soucient guère. « Nous sommes là pour changer d’air, nous réfléchissons déjà trop à l’université, alors ici c’est plutôt de la détente », nous explique l’une d’elles.
Des professeurs d’histoire-géographie, accompagnant un groupe d’enfants du centre de Boufarik, regrettent ce manque d’intérêt. « Pourtant c’est dans leur programme scolaire, nous leur expliquons toute l’histoire algérienne, et quand ils sont petits ça les intéresse réellement, les enfants ne cessent de nous poser des questions. Et plus tard ils ont tendance à ne plus s’en soucier. C’est la mentalité de l’Algérien nous n’allons pas la changer ! », estime l’un des professeurs.
Un désintérêt général mais également un manque d’efforts de la part des sites qui empêchent de faire vivre la mémoire de ces lieux archéologiques.
L’Algérie a perdu ses conteurs…
Si quelques sites en Algérie sont développés et restaurés comme à Tipaza, M’Zab, le Tassili, Djemila ou Cherchell, la communication autour de ces lieux reste incomplète. Au tombeau de la Chrétienne, aucun guide n’est présent pour expliquer aux visiteurs l’intérêt du site. De plus, à cause d’un risque d’effondrement, il est impossible de pénétrer à l’intérieur de la tombe, où réside essentiellement l’histoire de ce lieu. De même pour le site de Tipaza ville, où seul un dépliant nous résume en quelques lignes des siècles de l’histoire algérienne.
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Rien n’est fait pour aiguiser la curiosité du visiteur. Comme l’explique Hakim, touriste français d’origine algérienne, qui soulignait le manque d’informations autour des monuments importants, « ici c’est vrai que le site est entretenu, restauré, mais j’ai été à Timimoune, où les lieux historiques ne sont pas forcément mis en valeur, mais j’ai rencontré un guide qui m’a raconté l’histoire de cet endroit, les anecdotes, les secrets et tout de suite le lieu a pris une couleur différente. Cela devenait fascinant », raconte-t-il. Chercher son passé et celui de son pays est difficile lorsqu’il est caché.
A trop oublier, on enterre l’histoire et ses vestiges
Un patrimoine riche mais lésé. Tellement oublié que de nombreux monuments ou lieux historiques, pourtant reconnus comme patrimoine de l’humanité, pourraient être déclassés par l’Unesco, car chaque Etat doit s’engager à la protection, la conservation et la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel dont il dispose. Combien de lieux historiques algériens vont-ils être délaissés, voire oubliés ? Ils sont beaucoup à souffrir également de l’érosion du temps. Leur restauration se fait rare, parce que trop cher, et qu’il existe un manque de budget. Même les employés travaillant sur ces sites le reconnaissent. « Nous n’avons pas les moyens d’entretenir ce site, qui a été restauré pour la dernière fois lorsque l’Algérie était française », explique un agent du Mausolée royal à Tipaza, « ce tombeau n’est que la partie visible du site, il y aurait également d’autres vestiges autour. Mais nous n’avons pas les moyens de faire des fouilles », déplore-t-il. Le tombeau, lui-même, n’est pas complètement exploité. Depuis qu’il a été pillé, l’intérieur est fermé au public. « Si nous ouvrions à nouveau l’entrée du tombeau, il faudrait mettre en place des gardes, et nous n’avons pas les moyens », précise encore l’agent.
Investir dans son passé n’est pas l’urgence de l’Algérie. Les projets pour le futur ne manquent pas, c’est vrai. Mais cette histoire et ces vestiges sont une richesse sous-exploitée. Elles pourraient être le noyau du développement du tourisme national et international. Un centre de dynamisme pour tant de régions. Mais au-delà d’un enjeu économique, c’est l’identité du peuple algérien qui repose sur ces pans de l’histoire nationale. Comment avancer et écrire l’histoire des prochains siècles si l’on oublie ce qui a construit ce pays ?