Les mauvaises langues le disent : cela ne sera pas le 4ème mandat d’Abdelaziz Bouteflika, mais le premier mandat de Saïd, son frère. « Et le pire, c’est qu’il se trouvera dans ce pays des gens qui vont applaudir la formule et l’expliquer comme une solution unique au pays », comme le fait remarquer un ami.
Question de fond : comment les Bouteflika ont-il pu convertir une république à la longue tradition collégiale en une monarchie de famille avec sujets, Makhzen, affidés, serviteurs, cour et palais ? Par quel tour de force peut-on faire basculer une nation entière dans un royaume ? C’est tout le mystère « Saïd », disent les mauvaises langues. Trop de rumeurs, d’on-dit, de propagandes, de désinformations ont vite fait de placer le frère dans le statut du Général X, mais en formule civile. Saïd est dit derrière le doigt tremblant de Abdelaziz qui signe les listes et les nominations. On le prétend derrière les coups de fils de l’Oukaze, le harcèlement de Hichem Aboud, la distribution des grands contrats, l’ANSEJ nationale et l’ANSEJ international (distribution des ressources du pays pour gagner des soutiens électoraux). Le frêle ex-syndicaliste serait donc l’avatar du général Mediene et avec les pouvoirs du DRS dans un seul répertoire téléphonique. Sa force ? La légitimité de son frère. C’est ainsi que certains expliquent l’empire supposé de ce frère.
Bouteflika (le Abdelaziz) est désormais légitime : on ne peut pas le tuer, le démissionner, le chasser ou le renvoyer sans dégâts internationaux graves. Pire encore, le bonhomme aurait affaibli ses adversaires et clientélisé ses soutiens au sens le plus large. A la fin, la république se monarchise dit-on, par simple jeu de chiffres et de deniers. Du coup, son frère devient encore plus puissant dès que le frère devient plus malade.
Mais Saïd est-il l’imminence grise, le Raspoutine de notre décennie ? Est-il si puissant ou veut-on seulement accabler l’homme pour mieux le décréditer ? Est-ce un mythe ou une diffamation sans fin ? On ne sait pas. La tradition algérienne aime le jeu d’ombres. Si le Général X n’existait pas, l’opinion algérienne un peu paranoïaque depuis sa dernière guerre de libération, l’aurait inventé. Pour ceux qui se souviennent, le cas Saïd rappelle un peu le cas des Bouroukba de l’époque Chadli. Ou de la fameuse zaouïa de Mostaganem. Les Algériens aiment ce people de la clandestinité. Cela explique mieux le politique et déresponsabilise dans le confort. Les apparences sont trompeuses mais, surtout, chez nous elles sont tenues pour être décevantes. Autant se fabriquer un mythe Saïd ou en profiter comme le ferait Saïd.
Le Quatrième mandat ? Selon les uns donc, cela sera Bouteflika. Le frère, pas l’actuel. L’actuel étant malade, lent et incapable de mene rcampagne, il servirait de prête-nom à cette stratégie de succession fermée. Possible. Reste que c’est inexplicable : comment l’Algérie si rebelle, si émeutière, si méfiante envers le monarchisme, si moqueuse du règne alaouite voisin, allergique au personnalisme au point d’avoir enterré Messali sans honneur, en est venu à ceci ? Comment sommes-nous devenus un royaume de sang, après la république du sang des martyrs ? Mystère.
Kamel DAOUD