La démocratie est-elle possible chez les « arabes » ? Par Kamel Daoud

Redaction

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« Je crois que nous sommes inaptes à la démocratie » soupire Hmed, 44 ans, informaticien à Oran. En face, sa télé et le spectacle de la semaine : le putsch en Egypte. Est-ce un coup d’Etat ? Un peu, beaucoup, pas tellement. Le cas pose la grave question du sens : si on laisse un islamiste gouverner au nom de la démocratie, il tue la démocratie puis tue le temps. Si on l’évince, on tue la démocratie et il devient victime de notre arbitraire. Si on laisse Morsi et les siens, l’Egypte deviendra un califat, un Afghanistan puis un rien du tout traversé de sables et de coupeurs de mains, violeurs de filles. 

Si on l’arrache du Pouvoir, on arrache avec lui la fleur fragile des premières libertés de voter et de choisir. Dès le début de son mandat Morsi a mal géré, s’est octroyé des pouvoirs au-dessus de la Constitution et a cru gouverner les 100% de l’Egypte avec les 52% de ses électeurs. Vision myope mais absolutiste, erreur optique de tous les islamistes au Pouvoir : puisqu’ils détiennent la vérité, ils n’ont pas à négocier avec les autres. Donc, quelques mois plus tard, Morsi a récolté ce qu’il a semé : le désordre, la ruine et la division. Il a été extrémiste dans son déni, faisant passer sa « légitimité » avant l’intérêt de son pays. Grande tradition des égoïsmes de nos régimes.

Et on aura beau faire tourner le cas de l’Egypte dans sa propre tête, il n’y pas d’issue vers le bonheur. La raison ? On se trompe peut-être de géographie : la démocratie est une belle loi de sécurité et de justice mais elle a des conditions. En Egypte ou ailleurs, la faute revient peut-être aux électeurs dans le monde dit arabe : pour être électeur, il faut être citoyen et pour être citoyen, il ne faut pas être seulement client, sujet ou croyant. Or l’électeur chez nous n’existe pas, à peine ou depuis si peu. Il vote mal, ou bien, ou attend trop ou ne demande pas assez. Le trouble du vote est lié aux troubles de la citoyenneté et des droits. Perspectives en abime : pour avoir des citoyens, il faut avoir des écoles qui donneront des électeurs. Mais pour avoir des écoles valables, il faut avoir des idées, une vision du monde et de la justice, un but dans la vie, une raison fondée, des droits. Et pour avoir ce qui précède, il faut avoir la démocratie. Cercle vicieux.

C’est ce qui a fait soupirer H’med l’informaticien : tout pousse à croire au fatalisme du « nous ne sommes pas fait pour la démocratie ». Rien ne nous y encourage, ni la religion, ni l’histoire passée, ni nos régimes, pas même nos révolutions et encore moins les urnes, l’actualité ou le besoin de sécurité pour tous. On vote et se sont des islamistes qui prennent le pouvoir puis tue la démocratie. On ne vote pas, et c’est la dictature ou l’exil. On refuse que les islamistes prennent le pouvoir par la main et la démocratie par les cheveux et se sont les militaires qui arrivent avec leurs tanks et leur communiqué numéro 1. Pas d’issues presque.

On vote par la « rue », le char est un bulletin et la barbe est le résultat des urnes.

Rien ne semble faire accroire que la démocratie est valable pour nous, chez nous, par nous : ni nos vies de famille, nos rapports de couples ou à l’espace public, ni nos traditions mortes et tueuses et encore moins « les printemps arabes » ou les serments des militaires. Le soupir de Hmed est le résumé d’un siècle de tentatives. Cela veut dire que c’est impossible pour certains. D’autres croient que c’est un cycle lent et douloureux. D’autres regardent sans rien dire car cela ne veut plus rien dire ce qui se passe.

Le cas Morsi est le sujet de la semaine et du siècle nouveau car il pousse à redéfinir la démocratie, les moyens de la défendre et de la définir et les sens à lui donner. Le monde des idées est certes beau, mais on vit dans le réel qui oblige à trancher : et entre ma mère et la justice, je choisis ma mère. C’est à dire entre le pays et les droits de Morsi, je choisis mon pays. C’est à dire entre la légitimité d’un Président et la légitimité d’une nation, je choisis la légitimité d’une nation.  Le pays passe avant les urnes et c’est ce que Morsi l’islamiste n’a pas voulu comprendre. L’histoire retiendra aussi qu’il n’a pas eu la générosité de sacrifier sa légitimité pour éviter à l’Egypte de sombrer dans le chaos. Qu’est-ce qu’un pays pour un islamiste ? Un tapis de prière qu’il peut dérouler même au désert. Contrairement au reste du peuple.

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