On peut jubiler de voir un serviteur du régime tomber, poussé dans le dos avec une cuillère. On peut se réjouir de la scène, cela ne doit pas cacher l’essentiel : au-delà des raisons de la répudiation de Belkhadem, il y a la formule choisie. Elle est criarde de monarchisme.
On y retrouve le geste d’un Roi, des manières de monarque et des habitudes, mauvaises, d’une famille régnante par le droit de sang et pas par les urnes ou les apparences de la démocratie. Bouteflika, l’un des deux, a chassé un ministre par décret immédiat, l’a disgracié et lui interdit désormais tout exercice militant ou de fonction d’Etat. Le FLN n’appartient pas pourtant à Bouteflika sur le papier, et il n’en est que le Président d’honneur. Et limoger un ministre, de cette façon, est presque sans précédent. C’est un palais qui semble agir, pas une présidence. Cela s’accentue avec le temps et c’est au 3è mandat presque que l’on a compris que l’on a basculé lourdement dans le « droit de famille » et pas celui des vieux décideurs du cabinet noir aujourd’hui malades, retraités, isolés ou vieillis. Selon les médias qui l’auraient joint, Belkhadem accuse Said Bouteflika et Amar Saidani de sa disgrâce. Façon de ménager son maître avec l’espoir ténu de ne pas griller toutes ses chances de retour en grâce. Mais on sait que Saidani ne pèse guère plus qu’un tambour. Reste l’autre qui aujourd’hui s’affirme comme l’œil du Président, son oreille et sa main, selon le mythe algérois. Bouteflika est l’âme de cette Présidence, mais c’est son frère qui en est le corps. A tort ou à raison, beaucoup d’Algériens le croient ou ont besoin de le croire. Du point de vue de l’imaginaire, il a fallu très vite remplacer le mythe de Toufik, par celui de Said. C’est un besoin anthropologique algérien.
Les limogeages s’apparentent désormais à des actes de Makhzen violent et sans devoir d’explications pour le sujets : le PDG de Sonatrach a été renvoyé sans explications ni éclaircissements. Belkhadem aussi, ainsi que d’autres. Au sein de la haute administration, la peur du Makhzen est présente, lourde et publique. La peur mais aussi les calculs, les réseaux, les alliances et les cercles. La monarchisation avance, causée par une famille certes, mais aussi par un besoin obscur chez des élites politiques et administratives algériennes de vivre dans un royaume et pas d’assumer une république. Le trauma des années 1990 a engendré presque le désir d’un homme définitif et d’un retour à la formule d’une Présidence forte et concentrée. Il en naquit un Palais, puis un Roi ou, du moins, un royaume, apparemment. Le limogeage brutal de Belkhadem a, en effet, les formes criardes d’une disgrâce de courtisan et pas d’un limogeage pour faute professionnelle, incompétence ou insuffisance. Et on semble ni s’en apercevoir, ni s’en préoccuper. La psychologie politique de l’Algérien admet désormais la royauté et la transmission des pouvoirs par droit de sang. Un jour, la Moubaya3a se fera par lien de sang et se passera même des artifices d’une élection. La férule collégiale du régime, en mode depuis la création du FLN, a cédé le pas à un Messalisme puissant, riche et triomphant. Revanche de l’Histoire sur notre histoire.
Dans la peur panique de la punition, les élites de « soutien » vont aujourd’hui redoubler d’obéissance et d’écrasement. Un Ouyahia ou un Saidani vont, dorénavant, à peine oser respirer, sans autorisation. Ecrite.