Accident ischémique transitoire sans séquelles. C’est ce que les algériens ont appris sur la maladie de Bouteflika. On dit cela sans gravité et surtout « sans séquelles ».
Et du coup, le roman politique algérien, long récit fabriqué de mythes, rumeurs, fuites, indices, personnages, moments clefs et moments fades, est relancé. Assis dans son café gratuit, muni de son bras unique et de son oreille collée au ciel et au chemin de fer, le peuple unique écoute : la crise s’approfondit et il n y a pas d’eau au fond du puits. Bouteflika n’a rien fait pour assurer une transition douce dans un monde de brutes, est la conclusion collective. Il est comme ceux de sa génération: convaincu de la mort selon la loi de dieu, mais de son éternité selon la loi du 1er novembre 1954. Il fait partie de cette génération qui ne fait pas partie de la majorité et qui croit que son rôle est de veiller sur le pays libéré, de le préserver contre les colons mais aussi contre les décolonisés et qui croit qu’elle a des droits de propriété sur le sol et le récit de la terre. Et du coup, quand arrive un accident ischémique, cela n’est pas sans séquelles. Cela ouvre la porte de l’inquiétude chez certains, la peur de l’avenir réduit à un passé et l’angoisse du moment Zéro.
La frayeur de voir le pays basculer dans le moment 00 h 1962.
Les quelques images de Bouteflika trébuchant au-dessus de la tombe de Ali Kafi il y a des semaines, cherchant le mur sur qui s’appuyer et errant dans un autre monde fait de médicaments, d’injections et d’entêtements, ont fait ma l: on y réagit avec la compassion de nos ancêtres face à la détresse et la ruine du corps, mais on y réagit avec colère en se disant pourquoi cette génération ne veut pas avoir d’enfants mais seulement des clients et pourquoi elle ne veut pas quitter avec honneur et assurer une belle transition. Le régime en est aujourd’hui à puiser dans les cimetières et certains algériens ne voient de solutions que dans le recours aux archives et aux retraités : certains se sont déplacés chez Zeroual la semaine dernière et c’est le signe détestable de nos tâtonnements dans le noir.
« Ischémique » est un mot obscur. Destiné à expliquer la maladie de Bouteflika, mais sa préciosité a déjà sonné comme une sentence et son obscurité médicale donne au cas politique algérien les statuts d’une maladie rare et avec de grosses séquelles. Pour son dernier mandat, Bouteflika a laissé surtout cet étrange souvenir d’un homme qui a passé des années à démentir sa mort et à répondre à des condoléances.
La campagne électorale est donc ouverte maintenant. Médicalement. Et fermée pour Bouteflika, médicalement aussi. Même s’il revient en footing de Val-de-Grâce.
La raison ? Il y a une rime très riche entre AVC et « A voté ».