Le complot, maladie de l’esprit algérien par Kamel Daoud

Redaction

Le sujet de la semaine ? Celui en instance depuis les premiers jours de la guerre de Libération : Qui est derrière qui ? Alias le complot. Maladie des régimes policiers et des peuples sans certitudes ni confiance en soi.

C’est algérien : quand deux Algériens se parlent, chacun regarde qui est derrière le dos de l’autre. La raison ? L’image est le son ne sont pas synchrones dans nos cultures. On ne croit pas le réel qualifié d’apparence et frappé de nullité face à l’Essence dite souveraine. Si des gens bougent au sud, ce sont des gens de l’OTAN, de la division, de l’invasion ou de la sécession. Chaque acte politique en Algérie est une comédie entre parties invisibles réelles ou supposées : on ne croit pas à l’APN que tous voient mais aux clans que personne n’a vu mais que tous ressentent. On ne croit pas qu’un patron réussisse une entreprise mais à son parrain : le registre de commerce est une procédure de prête-nom. On ne croit pas à la réussite mais à la « couverture ».

D’où vient cette maladie ? Peut-être de la guerre de Libération : l’Etat-nation est né dans un maquis, dans la clandestinité, le caché, l’occulte. A l’indépendance, il est descendu de la Montagne vers la Ville mais cela n’a pas changé les mœurs : Ferhat Abbas était l’apparence, Benbella était l’occulte. Benbella était à son tour l’apparence et Boumediene l’occulte. Cela donne cette généalogie du doute qui scinde le régime entre Présidences et « Services ». Entre patronat et frère du Président. Entre parrain et marionnette.

Cela donnera à la fin cette tradition de l’analyse par le doute et de l’accusation par la thèse : personne n’est innocent, n’est réel, n’est lui-même. Tous sont les manipulés de tous. Le pays en deviendra une illusion, le droit et la loi une arnaque, la justice un coup de téléphone, les réformes, une manœuvre, les élections un plébiscite et l’enquête une attaque et l’apparent une sournoiserie. L’Algérie en deviendra un croyant ou un sceptique mais pas un citoyen, jamais.

Tout cela pour revenir à l’épisode de la semaine : le rassemblement des chômeurs à Ouargla. Selon la complotite, le mouvement a d’abord été vu comme un produit dérivé de l’OTAN ou de l’invasion. Ensuite, c’est la thèse des « islamistes » qui a pris le relais : les chômeurs seraient l’avant-garde du retour du Fis ou des manœuvres du MSP et de l’Alliance verte. Par la suite, c’est la thèse « kabyle » parce qu’on y a vu le soutien directe du FFS. Certains y répèteront, en jurant les dieux, qu’il s’agit d’ex-prisonniers, de fumeurs de haschichs, de néo-terroristes ou de faux-chômeurs. Tout était plausible sauf l’évidence : il s’agissait de chômeurs. Simplement. Cernés ou courtisés. Un réel impossible, inadmissible.

Et cette maladie de l’esprit ne touche pas seulement les acteurs des propagandes cycliques du régime genre Louiza ou Amar Ghoul, mais aussi les oppositions, celles des élites ou des organiques ou des exilés. Avec, en lourde facture finale, la paralysie des initiatives, de l’esprit, des visions et des actions. Car c’est tout ce que le pays récolte de sa thèse du complot permanent : l’impossibilité de croire, d’avoir foi, d’agir et de changer. « Complotez contre le complot » est peut-être notre seul possible « indignez-vous ».

 

Quitter la version mobile