La France ou le Sahel ? Au choix : dans l’un ou l’autre on parle de la même chose : la souche. Au sahel, les Touaregs veulent un pays des Touaregs de souche. L’Azawad des ancêtres. C’est le nouveau mythe politique moderne : revenir vers le Salaf, l’ancêtre, le salafiste, le gaulois pur.
Donc au Sahel, le MNLA se bat contre le Mujao, El Qaïda, le Sahelistan. En France ? C’est la crise de l’UMP. Le parti de la droite, les fervents de l’Azawad gaulois, le pays des ancêtres purs d’avant le reflux de la décolonisation. Astérix contre les maghrébins. Là, c’est Coppé contre Fillon contre tous. Jusqu’au Congo, Rwanda, Algérie et le reste du dit tiers-monde vu par Tintin. En France donc c’est la machette ou presque.
De quoi faire rire un peu les algériens intoxiqués, jusqu’à la nausée, par la crise perpétuelle du FLN contre lui-même. Et pour une fois, c’est la France «indigénisée», qui assume le karaoké des ex-colonies : accusations de fraudes, insultes, procès, menaces et décomptes des voix et des urnes. Une bonne élection douteuse dans la tradition des démocraties douteuses.
C’est pour dire que chez eux, l’après-Sarkozy semble être pire que le pendant. Le règne du bonhomme a introduit dans l’aristocratie politique la tendance jungle fever et la guerre par l’insulte. En somme l’encanaillement.
Et le Sahel ? C’est ce qui va souder peut-être la France populiste/politique et sans vocation. Comme l’Allemagne de 1914. Ou plus tard. C’est un front contre la barbarie. Et c’est encore un épisode d’humour : François le malien. Sur la rime d’une légende urbaine de Bouteflika. Abd El kader le Malien, chef d’une zone où il avait été affecté, par sanction, par le FLN canal historique décolonisateur avant l’indépendance. Véritable ironie des temps modernes : ce qui fut une légende pour Bouteflika le malien, est devenu une épine pour lui en 2012.
Et ce qui fut un détail pour la France est devenue son épopée pour aujourd’hui : Bouteflika l’algérois contre François le malien. UMP Azawad. Coppé El Qaïda. La France indigène. Le FLN en mode exportation. Des redresseurs à Paris et des néo-colons à Alger. Et pour nous, jeune génération, intoxiquée au nationalisme sans appel, c’est un curieux flou artistique qui s’installe : nos vétérans de guerre se soignent en France et la France imite nos crises et nos déboires et nos guerres de wilayas version 62.
Donc ce fut l’actualité de la semaine politique. Pour le reste, on est dans la routine : élections de maires aussi puissants que le fut Ferhat Abbas face aux troupes de Boumediene et à l’armée des frontières en 62. Sellal le premier ministre qui redécouvre la facture de la gestion Ouyahia ; Baba Ahmed le ministre de l’Education qui redécouvre la décennie noire version Benbouzid ; le nord algérois qui redécouvre le sinistre Ouargla sud, Sidi Fredj qui redécouvre le Gao.
Pour les prochaines semaines, on connait donc le menu avant la visite de Hollande : « l’Algérie française » et la « France algérienne ». Le premier est un pan de l’histoire douloureuse, la seconde est un morceau des banlieues sans vocation. L’Algérie française a été un ratage, la France algérienne est un massacre au karcher ou au scooter marque Merah. L’Algérie française vieillie mal, la France algérienne est trop jeune.
L’Algérie française est une nostalgie, la France algérienne n’est pas un avenir. Il s’agit de deux pays qui se greffent sur les deux déjà existants. Cela donne un étrange lien sans paix, sans amours. Etrange de voir des harragas algériens rêver de la France et de voir des beurs français brandir des drapeaux algériens sur scène et dans les stades.
Ces deux pays ne sont pas arrivés à se coloniser l’un l’autre. Ni à décoloniser, l’un de l’autre. C’est la conclusion que l’on ne dit pas généralement.
Kamel Daoud