Né d’une marche (de Oujda vers Alger), le Pouvoir craint les marcheurs par Kamel Daoud

Redaction

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« On ne voit le monde que comme on est » a dit un philosophe hollandais. Du coup, ayant besoin de légitimité occidentale, le régime voit dans les chômeurs du sud des gens manipulés. Illégitime et minoritaire face à son peuple, le régime voit les chômeurs du sud comme minoritaires et illégitimes. Régionaliste, il voit dans les chômeurs du sud des scissionnistes. Alimentaire, il ne voit la solution que dans la distribution et regarde les chômeurs comme des voleurs embusqués. Né d’une marche armée de l’ouest vers le centre, il ne voit la marche des chômeurs que comme une menace contre lui. On aura compris donc l’essentiel avec la nouvelle crise entre le premier ministre du pays et le premier chômeur du pays : rien n’a changé dans les mentalités. L’une des plus graves crises du pays est encore traitée comme une insurrection kabyle et un complot externe. Du coup, les mêmes recettes : colis alimentaires et répressions des leaders. Sellal donne là où Ould Kablia frappe et là où les « services » manipulent. Et cela dérange, agace et met en colère : c’est l’avenir de tous, la terre de tout le monde, qui sont traités par des incompétences héréditaires et des solutions de casernes. De quoi faire pleurer de rage et faire songer aux jours sombres promis.

Qu’est-ce que cela aurait couté d’écouter, de recevoir, de comprendre et d’humaniser les liens et les rapports et les conflits ? Pourquoi cette lenteur dans la solution et cette rapidité dans l’insulte et la stigmatisation de ceux qui ne sont pas dans les rangs ? Pourquoi traiter comme une menace un Tahar Belabbes, leader des chômeurs, et traiter comme un innocent présumé un Chakib Khellil ? Est-ce plus dangereux de marcher que de voler ? Pourquoi est-on incapable de dialoguer et de comprendre ? Qu’est-ce qui empêche les castes dominantes de saisir les enjeux et d’opter pour le consensus au lieu de la confrontation ?

On ne sait pas. Le régime algérien a ce terrible esprit d’être obtus et paranoïaque en groupe et de développer une hallucinante lucidité en intimité. Tous ceux qui ont discuté avec des ex-ministres, des anciens généraux, d’actuels « décideurs » sont étonnés, souvent, par la lecture juste et la critique virulente que ces gens-là font du « système » mais le système continu par ces gens-là justement. A la fin ?

On ne sait pas. Le choix se pose entre un MAK du sud à cause des mauvaises réponses. Un effet d’appel désastreux à cause de la politique ANSEJ et de l’argent gratuit que retient le régime pour répondre au sud. Une possibilité de pourrissement à cause du raidissement policier. La cause des causes ? La gouvernance : elle est illégitime, jacobine, myope, sournoise et traitre et bâtie sur une arnaque. L’ENTV exprime au mieux cette vision coloniale du sud qui a déjà fait des ravages : on ne parle au Sahara d’élus, de citoyens ou de leaders mais des « A3yane ». Traduire les « notables ». Vision coloniale, car hiérarchisant les habitants selon l’ordre tribal ou féodal : il y a le notable en haut et au bas de l’échelle de va-nu-pieds. Vision folklorique, ethnique, culturaliste. Vision coloniale surtout exprimant un sud figé dans la vassalité et l’obéissance et la moubaya3a. vision autiste, fermée, figée surtout et qui fait oublier l’évidence : Le sud n’est pas assis, il « marche ». Né lui-même d’une marche (de l’armée des frontière vers la zone autonome d’Alger), le Pouvoir craint le remake donc et voit la menace dans chaque le mouvement.

La solution du régime depuis toujours ? Une phrase des films hollywoodiens de hold-up le résume bien : « personne ne bouge ! ». Au nord, au sud et dans le ventre de nos mères. Pour lui, l’indépendance doit signifier l’immobilité.

 

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