Poutinisation algérienne sans Poutine par Kamel DAOUD

Redaction

Daoud

La poutinisation. Du nom de l’actuel tsar russe Vladimir Poutine. Nom donné à un processus politique qui consiste en un retour à l’autoritarisme, un contrôle strict des milieux d’affaires, une propension à punir et exiler les rétifs et un raidissement face à toute  volonté de réformes, contestations et révoltes. Le tout habillé avec une mythologie de souveraineté et de volonté de puissance régionale ou mondiale. Question: est-ce le cas de l’Algérie après les élections? Oui, mais avec une variante en creux: poutinisation sans Poutine. Abdelaziz Bouteflika n’est pas un dictateur, sauf avec les hommes qui l’entourent. C’est une vérité pour ceux qui le connaissent. C’est un homme rusé, intelligent, narcissique, ambitieux mais qui est victime de la théorie de la bonne foi: l’homme est profondément convaincu qu’il a évité un complot au pays en se présentant aux dernières présidentielles. Que sa candidature était une nécessité morale et patriotique. C’est son mythe personnel. Mélange surprenant pour nous entre ego, mythologie de toute une génération, soupçon, ambition, destin, vengeance, rancune et bonne foi.

La poutinisation actuelle cependant n’est ni son acte ni sa décision. Elle est le métier de ceux qui l’entourent et murmurent ou surveillent les rites et les choses. Une sorte de mécanique de concurrence interne pour garder la visibilité entre hommes proches du premier cercle afin d’augmenter le pouvoir de ses propres réseaux et construire de la puissance en vue de la succession encore ouverte. C’est une sorte d’excès de zèle du bas vers le haut et de la périphérie vers le centre. On voulait offrir au vieil homme une image qui puisse infléchir sa décision de candidature, qui était hésitante jusqu’à janvier dernier, et pour cela il fallait gommer, frapper, surveiller, obliger et forcer le sourire et l’applaudissement du peuple et des élites d’affaires et de rente. La poutinisation touchera alors les lobbys d’affaires, le patronat, les partis, les associations de masse et d’influence, les médias et les alliances. Elle se traduira par des recettes de violences, de corruption et de menace mais aussi par des insultes ou des punitions et aussi des deals, des liens et des convictions. Elle touchera le patronat et la presse en premier lieu mais ne s’arrêtera pas là durant l’été. Et pour le moment elle va continuer jusqu’à obtenir quelque chose de plus unanime que les 81%. Elle est déjà face à la tentation facile et irrésistible de plier tout un pays, le corriger et lui arracher une obéissance plus absolue. Et, en même temps, elle peaufine un autoritarisme encore plus pernicieux que le centralisme habituel d’Alger.

Et cette tendance ira en s’accentuant. Jusqu’à sa dérive fatale et jusqu’à provoquer un jour la réaction dure et des violences. Tous les livres d’histoire le disent et le répètent. Mais en attendant, les Poutines d’Alger n’en sont pas encore à ce stade. C’est la phase de la construction et de l’affirmation depuis des mois. Puis le cycle de la punition et de l’acquisition de territoires et de recrutement des clients. En attendant la suite.

Et Bouteflika dans cette histoire ? C’est le mythe de base de ce nouvel ordre. Le « fratrimoine » autour de la figure du père de la nation comme l’appelle le chroniqueur. On en joue autant qu’en Russie, la poutinisation s’est construite sur le mythe de la restauration du prestige et du la puissance perdue. Et avec les mêmes dérives et dépassements. Cela se ressent partout dans le pays depuis quelques semaines et pas seulement dans les d’actions des journaux. Il y a peur. Non pas du Président élu, mais des présidents qui n’ont pas été élus derrière lui. Ou qui le veulent toujours.

La poutinisation est aussi une orientation diplomatique. Une sorte de nouvel ordre, bâti sur un nouvel alignement. Une protection internationale, une clientélisation et une recette de survie pour quelques régimes. La visite de la présidente de la chambre haute du Parlement de la fédération de Russie, Valentina Matvienko, à  Alger ces derniers jours en est le signe et l’offre faite.

Kamel DAOUD