Quelle mafia est la plus puissante : les hallabas ou les bons d’essence ? Par Kamel Daoud

Redaction

C’est le chiffre du jour, l’actualité de la semaine : 25% du carburant algérien va à la contrebande ou au gaspillage. La contrebande signifie le Maroc et les frontières et les Hallabas. Le gaspillage signifie « rouler sans but » comme le font les Algériens, se promener au volant et pas à pied, marcher assis et pas debout. Sans culture piétonne et avec des moyens de transport en commun façon « Bombay », les Algériens font tout en voiture : les courses, les tractations, les enterrements, les mariages, les amours et les réconciliations et mêmes les divorces et les rencontres. Le moteur est une façon d’être indépendant à l’intérieur de l’Indépendance qui n’est pas totale. Pour preuve les femmes : elles étaient en haut des chiffres de ventes de Renault l’année dernière car la voiture (alias le moteur, c’est à dire le carburant) apporte la liberté que le corps ne vous apporte pas quand on est femme. C’est peut-être cela que Ould Kablia, auteur du chiffre des 25%, appelle « gaspillage » : rouler sans but, avec du mazout presque gratuit (le litre coutant moins que la bouteille d’eau minérale) et pour deux mètres comme pour vingt kilomètres. Définition valable pour une voiture comme pour toute l’Algérie nationale.

25% de fuite dans le tuyau est un chiffre énorme. Cela veut dire que le pays est un trou, une crevaison, pas une nation. Le chiffre est fascinant car contrairement à la question de feu Boudiaf (Où va l’Algérie ?) qui ne préoccupe personne, il apporte une part de réponse à la question que se posent les Algériens assis, debouts, morts ou à venir : Où va mon pétrole ? Vers les frontières, vers le nord, vers les clients de l’Occident, vers la poche, vers les banques, vers les pauvres, vers le ventre, le sucre et ou l’inutile. Chacun y va de son explication et nourri ses convictions. Certains vont s’étonner du chiffre énorme de 25% de carburant qui fuite vers les frontières et les passe-temps, d’autres vont se poser la question malicieuse du « où vont les 75% restant ? ». Du mazout en particulier ou du pétrole en général. Le pays a bâti son consensus sur la suspicion quand au partage du butin des sous-sols.

Sauf qu’il y a plus dans les révélations de Ould Kablia : les 25% doivent inclure aussi les « bons d’essence » des mairies, wilayas, entreprises publiques, administrations et copinages et des casernes. Cet énorme circuit du « gratuit d’Etat » que le ministre désigne avec un euphémisme pas très audacieux. Les « bons d’essence » sont l’un des derniers produits socialistes de l’Algérie d’autrefois, survivant de l’époque des Souk EL Fellah et du Tout-Etat. Le bon d’essence est un privilège, un « droit de famille » pour la famille du haut cadre, sa maitresse ou ses proches, une monnaie gracieuse entre responsables et clients, un trou dans le tuyau de la nation et un acquis. Il s’échange, se donne, se vend et se distribue comme des bonbons ou même contre des bonbons et c’est le premier privilège que l’on acquière quand on devient responsable en Algérie. Il est un signe de l’accession et le billet d’une banque que personne ne surveille.  Le circuit des bons d’essence est d’ailleurs tellement vaste et touche tellement à tout le monde que même Ould Kablia a préféré en parler avec des allusions.  D’ailleurs, lui-même (et les siens) il en use de combien par jour ?

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