L’invraisemblable sous-culture des imams algériens et leurs ouailles ensommeillées. On pourrait songer à un livre du genre pour parler de cette sous-culture, bas de gamme, largement autonomisée par rapport aux autres institutions, que pratiquent en sacerdoce les imams algériens.
Une armée de 26.000 salariés, gérée par un ministère, nourrie par un budget et anoblie par un statut de clergé, qui professe souvent, dans les villages profonds, les pires inepties du siècle. Au village, cette semaine, sous la chaleur du ciel fermé et gris, entre midi-mort et 14 h, l’auteur de ces lignes a écouté, en mode épars, le prêche de l’imam des lieux : la femme comme «saleté» et fitna, les juifs comme toujours, quelques anecdotes invraisemblables puisées dans la littérature du moyen-âge de l’Islam, quelques superstitions agréées et une demi-heure de blabla face à un public assoupi, soucieux du rite, pas du dogme. Le discours est rodé : crier, faire un peu peur, décrire le gazon du paradis, insulter la femme et l’Occident et les gens différents, haranguer puis se lasser et finir sur un remerciement à la Dawla et à la Fakhamat’hou.
Une catastrophe du sens et de la culture et de l’esprit ? Oui : il faut rappeler que les mosquées sont le plus grand réseau en Algérie après celui des « Services » et avant celui des rumeurs, qu’ils sont des milliers d’imams sous-formés, monolingues, sans ouverture sur le monde ni sur l’Autre, conditionnés par la culture Chourouk ambiante et les convictions de bazars ou des vieux livres des théologies inadaptées et des fatwas périmées. Et c’est cette armée de sous-imams qui a le droit de parler aux algériens, dispose d’autorisation de meeting chaque semaine, d’un lieu de rencontre et d’une liberté de ton et de propos dont rêverait tout militant altermondialiste ou écologiste. En 2010, ils étaient 26.000 imams pour 15.000 mosquées. On annonce un chiffre à venir de 40.00.
La facture est lourde bien sûr : on n’ira pas sur la lune avec les imams, ni avec les guetteurs de croissant de lune et on le sait depuis quelques siècles. Les ravages de cette sous-culture des imams sont immenses, durent depuis des décennies et ne semblent obéir à aucun audit du contribuable qui donne son argent, ou contrôle efficace du ministère des affaires religieuses : si un militant du RCD ou un journaliste opposant avait osé ne pas saluer le drapeau de l’Algérie et ne pas se lever à l’hymne, il aurait été lynché par trois générations de délateurs. Mais quand un groupe d’imams le fait devant un ministre de cette République qui donne les salaires, on se contente d’un avertissement comme cela s’est passé il y a trois ans. Pourtant, il s’agit déjà d’un signal violent et lourd : ce pays souffre autant de l’islamisme qui n’est pas mort, que de la sous-culture religieuse des imams qui tuent et fabriquent des zombies.
Il ne sert à rien de parler de modernisation, réformes et tolérances quand, chaque fin de semaine, on offre ce peuple en troupeaux à des fonctionnaires mal formés, imbéciles parfois, imprudents et capables de raconter les pires superstitions. C’est un crime que ces appels à la haine, au sexisme et aux légendes ridicules que l’on loge dans les têtes algériennes chaque semaine.
Comme la loi qui interdit d’user de la religion pour faire de la politique, il devrait en exister qui interdit d’user de la religion pour fabriquer des chèvres. La religion dans ce pays ne souffre pas, en effet, seulement de la politisation calculée, elle souffre aussi de populisme, de dégradation et de basculement dans les misères de la raison : on parle aujourd’hui sans complexe de nouvelle clinique anti-Djinns à Relizane, avec le Cheikh Belahmar et de doctorat en Rokia dite hallal après quelques milliers de milliards dépensés en médecine gratuite et en éducation. Et le pire est que cette sous-culture s’autonomise avec le temps, loin des élites intellectuelles arabophones ou francophones : cette « religion du peuple » a déjà ses fidèles, ses imams, ses livres mal imprimés, ses pages Facebook et ses défenseurs et ses fast- fatwa et ses langues et ne rend compte à personne de ses énormités subventionnées par l’Etat.
Le cas de l’iman Cheikh Chems Eddine, animateur d’une émission religieuse sur la chaîne algérienne de télévision Ennahar TV, est le parfait exemple de ce nouveau péril comique qui menace l’Algérie. On est passé du FIS aux GIA, avant d’arriver à l’exorciste de Relizane et aux sous-imams des vendredis oisifs.
Le Moyen-âge n’a pas d’âge.