Il n’ y a pas que Dieu qui est sacré en Algérie. Il y a aussi l’armée. Non, pas l’armée de Dieu. Mais l’armée populaire nationale (ANP), une armée bien profane. Bien humaine et algérienne. Malgré son humanité et son algérianité prouvée et revendiquée, on nous oblige à la considérer comme un « corps sacré » à l’abri de toute critique.
C’est un tabou, un non-dit, qui dure depuis l’indépendance en Algérie. Ce non-dit a pris la forme d’un commandement inviolable pendant les années 90 où notre pays était engagé dans une terrible lutte contre le terrorisme. Notre armée a prouvé son efficacité, défendu son honneur et l’intégrité territoriale nationale. Aujourd’hui, personne ne le conteste sauf quelques esprits de mauvaise foi. Mais est-ce une raison pour autant pour mettre en permanence notre ANP sur un piédestal ? Aucune armée aussi glorieuse soit-elle ne peut être à l’abri de la critique de l’opinion publique et d’une presse libre. L’armée est une institution républicaine, elle n’est pas une institution religieuse bercée par des certitudes cultuelles. L’armée, comme toute autre institution de l’Etat, doit rendre des comptes et s’expliquer sur gestion et son mode de gouvernance.
La démocratie, la transparence, la liberté et le patriotisme exige ce travail critique vis-à-vis d’une institution qui doit protéger l’unité nationale et la survie de la nation. Cette mission stratégique, capitale, cruciale et incontournable, est trop précieuse pour qu’on se contente, nous citoyens, de fermer nos gueules sans se poser des questions, et chercher leurs réponses, sur ce qui se passe au sein de notre armée. La configuration politique de l’Algérie où l’armée a de tout temps fait et défait les décideurs incite plus que jamais à un travail d’investigation, d’enquête et de questionnement sur le fonctionnement interne de l’armée nationale et populaire.
Dans ce contexte, il demeure illogique qu’un journaliste soit poursuivi en justice pour une simple chronique qui a déplu au ministère de la Défense nationale. L’éditorialiste du quotidien arabophone El Khabar, Saad Bouokba a provoqué le courroux de nos officiers à travers un simple billet où il s’interroge sur la promotion accordée à un officier haut gradé qui s’est distingué par sa sieste au beau milieu d’une rencontre militaire internationale de haut niveau qui a regroupé les militaires les plus prestigieux du monde en Turquie. Un journaliste algérien n’a-t-il pas le droit de relever ce comportement anormal, pour le moins que l’on puisse dire, et le soumettre à la critique ? A en croire notre ministère de la Défense, il s’agit d’une insulte infâme ! Saad Bouakba s’est aussi interrogé sur « l’audience accordée par son excellence le président de République, au vice-ministre de la Défense nationale, Chef d’Etat-Major de l’ANP, au cours de laquelle il lui a fait un compte-rendu sur la participation de la délégation algérienne aux funérailles de l’ami de la Révolution algérienne, le général vietnamien Vo Nguni Giap ».
Le journaliste algérien a cherché uniquement à savoir s’il n’y avait pas d’autre priorité « militaire » à discuter en ce moment entre nos hauts officiers et notre Président de la République. Décidément, se poser des questions est une crime aux yeux de nos dirigeants militaires. Preuve en est, le ministère de la Défense nationale « se réserve le droit de poursuites judiciaires », a-t-il annoncé dans un communiqué rendu public samedi. Le département de Gaïd Salah a même considéré que ce qui a été écrit par Saad Bouakba « laisse transparaître un acharnement clair et une attaque manifeste contre l’institution militaire, assortis de diffamation et de provocation à l’endroit des cadres de l’Armée nationale populaire (ANP), d’une manière totalement étrangère à la déontologie du métier de journaliste ».
Le ministère de la Défense ne s’occupe donc plus de protéger le pays uniquement. Il apprend aux journalistes leur métier. Soit ! Au nom de la liberté et du débat libre, la presse se doit de respecter l’avis et les remarques de l’ANP. Mais celle-ci a aussi le devoir de respecter les journalistes quand ces derniers s’insurgent contre quelques-uns de ses problèmes de gestions et sa stratégie de communication arriérée.