En Algérie, la vie est pleine d’absurdités qui peuvent avoir l’effronterie de paraître invraisemblable. Tout un pays est suspendu à l’état de santé d’un seul homme. Celui-ci est, certes, Président de la République, mais il demeure un homme, un mortel dont la mort ou la survie ne constitue aucunement une porte de secours pour un Etat déliquescent incapable de faire face aux défis que lui posent l’avenir et le présent.
Une déliquescence qui n’a guère empêché les autorités de poursuivre en justice un directeur de presse pour avoir révélé des informations sur la sacro-sainte santé du Chef de l’Etat. Hicham Aboud, directeur des deux publications, « Mon journal » et « Djaridati », sera inculpé par le parquet d’Alger pour atteinte à la sécurité de l’Etat et à l’intégrité du territoire national. La décision est tombée comme un couperet. Hicham Aboud encourt donc de graves sanctions au regard des charges qui pèsent sur lui. Il pourrait même aller en prison. Oui, la prison juste pour avoir publié un article sur la santé du Président. Un crime de lèse-majesté.
De la prison pour toute personne qui ose affirmer que l’état de Santé de Bouteflika s’est gravement détérioré. Cela se passe en 2013 et en Algérie : la personne de Bouteflika est devenue sacrée dans notre pays. En effet, depuis presque 5 ans, l’Algérie est synonyme de Bouteflika, de maladie, cancer, hospitalisation, Val-de-Grâce et période de repos. L’Algérie est gérée comme une clinique où la maladie fait office de loi. Quant au peuple, il est considéré comme un patient incapable d’être autonome. L’Algérie, un pays stationnaire où le médical détermine tout et s’impose en référence absolue. Et cette hystérie collective autour de la maladie de Bouteflika est devenue presque une religion nationale. Il ne faut donc pas demander des explications, ni exiger des comptes à l’Etat qui cultive le secret autour de la santé du premier magistrat du pays. Un secret inviolable et gare à celui, ou celle, qui ose s’aventurer dans ce domaine miné par l’interdit et la censure. Le parquet d’Alger est intervenu rapidement pour rappeler cette vérité amère aux Algériens. Ni les scandales de corruption, ni les affaires de détournements de deniers publics, ni les révélations fracassantes de la presse italienne sur les scandales Sonatrach 1 et 2 n’ont réussi à réveiller les juges du tribunal d’Alger de leur torpeur. Il leur a fallu de simples déclarations de Hicham Aboud sur France 24 pour se rappeler que la sécurité de l’Etat est un combat à mener. Il leur a suffi qu’un directeur de presse parle publiquement de la détérioration de la santé d’un homme, fut-il président, pour que ces juges se souviennent de l’intégrité territoriale de l’Algérie.
Une intégrité violée à maintes reprises par les corrompus et les corrupteurs qui ont occupé de hautes fonctions dans le gouvernement. Une intégrité foulée aux pieds par ces ministres, députés, militaires et hauts commis de l’Etat avec leurs agissements mafieux. Mais tous ces gens-là, le parquet d’Alger ne semble pas vouloir les inculper. Non, il est très occupé à veiller sur l’état de santé du Chef de l’Etat. Un tribunal médicalisé et sans âme pour un pays sans justice et sans égalité.